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Nécessité rationnelle d'une politique intégrant Dieu

Maintenant que les conditions d’une civilisation sont claires, osons l’affirmer sans détour : une société qui négligerait totalement l’existence de Dieu est vouée à mourir. Notre société moderne, par exemple, est mort-née, et sera factuellement morte lorsque toutes les conséquences découlant de ses principes seront survenues. Poursuivons, toujours d’après le travail fourni par Grégoire Belmont.

La raison est simple : une société qui ne s’intéresse pas à la question religieuse est une société sans bien commun parfait, et où les différentes strates de ce bien commun s’érodent les unes après les autres. Les principes de la société dans laquelle nous vivons ne s’inspirent en rien du bien commun réel, et ne se réfèrent, pauvrement, qu’aux lointains reflets matériels de ce bien commun. De fait, si notre société apporte quelque bien aux citoyens, ce n’est pas grâce à ses principes, mais en dépit de ses principes. D’après la théorie du Contrat social, qui domine largement aujourd’hui, l’objectif de toute société consiste à trouver une organisation où chacun peut vaquer à son bien propre. L’homme naît libre, et avant l’avènement de la société, rien ne s’opposait à son bonheur. Ce qui définit l’homme, c’est sa liberté absolue. Il est souverain : par cela seul qu’il est quelque chose, il est tout ce qu’il doit être. Rien ne lui est supérieur. Un beau jour, d’après cette théorie, le souci de conservation des hommes les a fait s’assembler. Ils ne l’ont fait qu’à la condition de conserver leur liberté au travers des droits. Ces droits, accordés à chacun en tant qu’il est un homme, sont subjectifs – puisque centrés sur les individus – et absolus – puisque attachés exclusivement à la nature même de l’homme. Aucune loi, aucune décision de justice ne peut aller contre eux. Ces droits de l’homme sont la seule valeur transcendante, absolue, de cette société qui ne reconnaît aucune transcendance. Voilà leur première maxime : « Les hommes sont nés libres et égaux en droits. » Tout se retrouve ainsi centré sur l’intérêt égoïste de chaque individu. Chacun ne s’associe aux autres que pour soi. Et dans ces conditions, l’autre est une limite à mon bonheur égoïste : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle d’autrui ». Il s’agit donc de trouver un compromis où chacun respecte le bonheur de tous les autres. C’est là l’idée de ce « pacte républicain », réunion de tous dans le respect de l’autre, ayant pour but de trouver de manière plus efficace la maximisation de son bonheur personnel. L’homme étant en lui-même la seule valeur transcendante de cette société, il ne saurait y avoir d’autre religion d’Etat. Il est en effet dans l’ADN de cette « société » que personne ne naît pour se dépasser, et converger vers un idéal qui le pousse à sortir de lui-même : chacun naît pour jouir de ses droits. Personne n’est poussé à vivre au service de ses semblables. C’est donc à l’Etat qu’il revient de réglementer les moindres relations des hommes entre eux, et d’être le garant de leurs échanges. Les hommes sont en effet incapables d’avoir confiance les uns dans les autres puisqu’encore une fois, la seule raison de leur entrée en société est la recherche de leur intérêt personnel. La société devient donc une organisation artificielle de la vie par l’Etat. Il n’y a plus de vie entre hommes ; il n’y a que du droit, et des « droits ». Deux familles se disputent sur ce champ de ruines : celles des libéraux, qui affirme que, l’homme étant infiniment libre de droit, c’est à l’homme d’aller chercher lui-même, et d’obtenir lui-même, le plus librement, ce qui fera son bonheur, en écartant les obstacles à sa liberté. Ce qui manque de logique : si un droit est absolu, il est absurde que ce soit à l’homme d’aller l’obtenir lui-même. L’autre famille est celle du socialisme : puisque l’homme a des droits, c’est à la société tout entière de lui en assurer la jouissance sans même qu’il ait à remuer le petit doigt. C’est l’Etat-Providence, à bien des égards moins absurde que l’Etat libéral.

Une telle société est vouée à la disparition. L’homme est fait pour converger vers un idéal absolu, infiniment satisfaisant, et infiniment partageable : Dieu. L’homme a reçu la vie, qui est un mouvement vers l’obtention du bien, et donc un amour de ce bien. En enlevant Dieu de l’horizon social, en érigeant les droits subjectifs comme seule valeur transcendante de la société, l’homme retourne vers lui-même, et les rapides limites de la chair. L’orgueil, l’égoïsme et toutes les concupiscences sont exaltés. Dieu s’efface. Tout dépassement de soi est inutile. L’homme se retrouve seul face à son propre néant, condamné à multiplier les plaisirs éphémères et décevants. Son humanité se condamne au dessèchement, et au niveau individuel, c’est la ruine morale.

De leur côté, ceux qui persistent à croire en un Dieu, quel qu’il soit, se regrouperont entre eux, en micro-sociétés, afin de rendre un culte à leur Dieu. Les hommes se réuniront en fonction de leurs valeurs, formant des Etats dans l’Etat, misérables débris d’un Etat vacillant. C’est le règne du « communautarisme  ». Ces communautés rivales finiront un jour ou l’autre par s’affronter, puisqu’aucun Etat, aucune religion commune ne les transcende pour les unir. Et l’Etat, qui ne s’est pas allié à la religion, qui a exclu la religion, se retrouvera l’ennemi de la religion. Et quand bien même la société ne s’effondrerait pas de l’intérieur, elle s’effondrera parce que le pouvoir du souverain débarrassé de Dieu est un pouvoir sans limite autre que sa propre volonté, ou celle des passions populaires. Il n’y a qu’à regarder l’exemple du XXe siècle, et des terribles dictatures qui s’y sont succédé.

Suite : Jésus-Christ, roi des nations

La société où règne Dieu est la meilleure des sociétés : argument rationnel

La question du « pour qui ? » ne se posant plus, passons au « pourquoi », et tout d’abord, au « pourquoi » rationnel. Les paragraphes suivants sont adaptés d’un remarquable travail de synthèse, effectué par Grégoire Belmont, pour un atelier consacré à la question du bien commun au cours d’une université d’été de la FSSPX.

orchestra commissionComme le disent Aristote et saint Thomas d’Aquin, l’homme est un « animal politique ». Vivre en communauté lui est nécessaire pour vivre : l’existence, la nourriture, le toit, le vêtement lui sont d’abord donnés gratuitement par ses parents. Sans la communauté qu’ils forment, sa vie serait impossible. Surtout, la Cité, la société politique, est le lieu du bien vivre : elle met à sa disposition un ensemble de biens matériels dont il pourra jouir, ou qu’il pourra acquérir par la propriété. Elle lui prodigue aussi un ensemble de connaissances morales, intellectuelles, scientifiques et artistiques qui lui permettront d’apprendre à raisonner, à exercer un métier, à utiliser sa raison et son corps de la meilleure des manières. Sans l’héritage du passé, l’homme ne pourrait rien apprendre. L’homme naît donc dépendant et débiteur de la société, et non créancier. L’ensemble des biens que l’Etat met à sa disposition peut être appelé le bien commun : ce bien commun contribue au bien propre de chacun, sans se confondre avec aucun d’eux : il les transcende tous. Et chacun développe son bien propre par amour du bien commun, de l’ordre social, de la paix. Le bien commun d’une armée est la victoire, qu’aucun ne pourrait remporter seul ; celui d’un orchestre est la symphonie, qu’aucun ne pourrait jouer seul ; mais chacun, en jouant sa partie du mieux qu’il peut, et en accomplissant ainsi son bien propre de soldat ou de musicien, contribue au bien commun. Le père Lachance, dans L’Humanisme politique de saint Thomas, précise : « La perfection de la partie n’est réalisée que dans son ordonnancement à la perfection du tout. En tant que partie, on n’atteint la perfection qu’en collaborant à l’ordre du tout. »

Saint Thomas développe cette idée en démontrant que le bien commun nous unit, et que les biens particuliers nous divisent. Dieu le Pre ste MMadeleine ste Cath de Sienne 1509 Fra Bartolomeo RD’après lui, il existe quatre sortes de biens communs :

  1. Les biens matériels : prospérité et richesses, qui profitent à tous indirectement.
  2. Les biens du corps : restaurants, clubs sportifs, hôpitaux, etc.
  3. Les biens moraux : on ne peut les définir qu’en faisant référence aux vertus morales, qui ont pour but d’établir la paix et l’ordre dans notre âme, pour la préparer à la contemplation de Dieu. Au niveau social, les vertus publiques auront pour objectif de préparer la paix, qui prépare l’unité (l’unité est le plus grand des biens communs selon saint Thomas). Ces vertus publiques peuvent être : la préservation de la morale publique, la justice etc., qui permettent d’obtenir la paix. Cette paix que l’on obtient est, pour saint Augustin, « la tranquillité de l’ordre ». Pour saint Thomas, c’est « l’harmonie du silence », prélude à la contemplation.
  4. Les biens intellectuels : parmi les créatures corporelles, l’homme, ayant pour apanage une âme intellectuelle, se distingue par l’usage de l’intelligence, sa faculté suprême. Celle-ci lui permet de conceptualiser, puis, par identification, d’effectuer des jugements, et donc de connaître la vérité. Parmi ces biens intellectuels, parmi ces vérités, le plus grand est assurément celui qui peut remplir notre cœur et notre intelligence à satiété, et que l’on peut partager à l’infini. Ce bien, cette vérité, Aristote l’appelait la cause première : celle qui explique tout le reste et dont découle tout le reste. Saint Thomas précise que ce bien est la cause des causes, Dieu. Dieu, en tant que bien commun suprême, nous est ainsi décrit par saint Augustin : « La Vérité est commune à tous. Elle n’est ni à moi ni à toi ; elle n’est pas à celui-ci ou à celui-là : elle est commune à tous. » (sur le psaume 75). Et ailleurs : « Le mieux, pour créer et protéger une cité, c’est le fondement et le lien de la foi et d’une solide concorde, quand on aime le bien commun, le bien suprême et le plus vrai, c’est-à-dire Dieu, et qu’en Lui les hommes s’aiment les uns les autres très sincèrement, car ils s’aiment à cause de Celui à qui ils ne peuvent pas cacher dans quel esprit ils aiment. » (La Cité de Dieu)

Il en résulte que Dieu est le bien commun par excellence, infiniment communicable. Sa contemplation nous modifie de l’intérieur, et donne à la société humaine sa plus belle finalité : rendre l’homme meilleur, et soutenir sa faiblesse individuelle par la sainteté collective. Comme le dit si bien saint Augustin, cet amour commun pour Dieu est facteur de charité, et de concorde. Et s’il est vrai que, selon Aristote, l’amitié est une communication de vertu, et se nourrit donc d’un amour commun pour une valeur transcendante, cet amour commun pour Dieu est source d’amitié politique. Or, comme le dit le père Lachance, « L’amitié est la fin de l’effort de l’homme vivant en société. Elle symbolise la charité et lui sert d’amorce. Elle crée l’harmonie et l’unité du corps social. La justice, qui est comme le nerf de toute vertu, intègre l’individu dans le tout ; l’amitié corrige ce qu’elle a de trop raide, de trop mécanique. L’une et l’autre souhaitent rendre l’existence bonne, humaine, heureuse, délectable. Les deux veulent fondre nos vies en unité féconde, faite de fermeté et de souplesse ; les deux rêvent de nous faire communier personnellement et à satiété aux valeurs matérielles et spirituelles contenues en l’idéal humain » (L’Humanisme politique de saint Thomas). En résumé, comme le dit saint Paul : grâce à l’intégration de Dieu dans le corps social, il sera possible de « conserver l’unité de l’esprit, par le lien de la paix » (Epître aux Ephésiens). C’est alors que la société devient pleinement naturelle : elle est composée de liens de vie tissés entre les individus, et que l’Etat ne fait qu’organiser. Les institutions sont la cristallisation de la vie entre les hommes. La société se donne donc une direction, une sagesse, une contemplation commune dans le Christ. Cette Sagesse est civilisatrice, littéralement, elle « constitue la Cité ». Le père Lachance définit ainsi la civilisation : « Elle est l’intégration à la Sagesse universelle du dynamisme de la vie d’un peuple » (L’Humanisme politique de saint Thomas). Ou, comme disait Baudelaire dans son journal intime : « La civilisation ne réside pas dans les tables tournantes, ou la machine à vapeur. La civilisation réside dans l’effacement progressif des traces du péché originel. »

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