Dans son De Regno, saint Thomas d’Aquin présente les trois options pour rétablir la royauté sociale du Christ, face à un pouvoir inique et dominateur :
1. Se révolter ? Sur le sujet, l’avis du docteur angélique, souvent détourné, est pourtant très clair. Et il est négatif. Pourquoi ? D’une part, parce qu’un pouvoir mauvais qui dure est un pouvoir illégitime de droit, mais légitimé de fait par Dieu, qui se sert mystérieusement de lui à dessein. Dieu lui-même l’a affirmé, par la voix de son Fils, lors d’une apparition du Christ à la bienheureuse Anna-Maria Taïgi. Un jour que cette dernière demandait à son époux céleste la signification de cette terrible permission par laquelle Napoléon Bonaparte avait pu semer la ruine, répandre la dévastation et multiplier les tueries d’un continent à l’autre, portant atteinte de façon barbare à tout droit humain et divin, Jésus répondit : « A cette fin, j’ai mandaté Napoléon. Il était le ministre de mes fureurs ; il devait punir les iniquités des impies, humilier les orgueilleux. Un impie a détruit d’autres impies. » Que mériterions-nous aujourd’hui…
De plus, si la révolte échoue, la tyrannie ou l’imposture du gouvernement inique sera pire qu’avant ; et si elle réussit, le nouveau pouvoir tirera sa légitimité de la force, et devra redoubler en tyrannie pour s’imposer. En effet, il ne pourra pas imposer artificiellement, à un pays devenu complètement païen ou athée, le christianisme comme religion d’Etat. C’est le cas de nos jours : un simple coup d’œil à la faiblesse et à la division des troupes catholiques révèle toute l’utopie d’un coup d’Etat aujourd’hui. Le coup d’Etat ne trouve grâce aux yeux du docteur angélique qu’à une seule condition : que l’état social suivant la révolte soit réellement et objectivement meilleur que le précédent. Et pour cela, un minimum de tissu social chrétien solide est nécessaire, comme ce fut le cas lors de la conversion de l’Empire romain ou de celle de Clovis. Certes, le basculement vers une conversion totale du pays ne s’est opéré que par la conversion des élites, et c’est une condition absolue (nous y reviendrons). Mais sans l’unité d’un minimum de tissu social chrétien à la base de la société, la conversion des élites devient impossible. Sans sainte Clothilde, sans saint Rémi, sans l’unité de quelques évêques francs et de leurs quelques troupeaux, il n’y aurait pas eu Clovis.
2. Le mode le plus normal de destitution d’un mauvais gouvernement, selon saint Thomas, est la destitution de ce dernier par une autorité supérieure. De son temps, cette solution pouvait trouver quelque application pratique : il y avait des pouvoirs supérieurs à l’Etat, comme le pouvoir pontifical, à même de faire incliner le mauvais gouvernement. Mais depuis le traité de Westphalie, il n’y a aucune entité juridique supérieure à l’Etat. Et les nouvelles entités du XXe siècle, comme l’ONU et l’UE, sont fondées sur des principes tout aussi mauvais, voire pires, que leurs Etats membres. Cette solution, comme la première, est donc inapplicable aujourd’hui.
3. La dernière solution donnée par saint Thomas consiste à s’en remettre à la Providence, sans attentisme cependant : en priant, en se sacrifiant, et gagnant le bien là où l’on peut, à sa place. « Aide le Ciel, et le Ciel t’aidera ». C’est tout le sens de la position, par exemple, de saint Grégoire le Grand à son avènement au trône pontifical, à une époque où les invasions barbares et les épidémies ravageaient une Rome exsangue : que chacun se sanctifie, prépare le terrain au retour du Christ Roi là où il peut, accomplisse son bien propre, se perfectionne par amour et dans les limites du bien commun.
Suite : Mais où sont les lieutenants de Dieu ?

Jésus-Christ est donc nécessairement le Roi des nations. C’est non seulement un besoin vital pour l’homme, mais c’est surtout un droit naturel de Dieu. A ceux qui en doutent, ou qui le nient, la Bible le crie à toutes les pages : pas un prophète, pas un évangéliste, pas un apôtre n’omet de souligner sa qualité et ses attributions de roi. Jésus est encore au berceau, et déjà les Rois du monde cherchent le Roi des Juifs : « Ubi est qui natus est, rex Judeorum ? » Jésus est à la veille de mourir, Pilate lui demande : « Tu es donc roi ? » « Tu l’as dit », répond Jésus. Et cette réponse est faite avec un tel accent d’autorité que Pilate, passant outre les récriminations du Sanhédrin, consacre la royauté de Jésus par un écrit public et solennel. « Quod scripsi, scripsi. » De même, les derniers mots que Jésus adresse à ses apôtres avant de remonter au ciel, son ultime testament oral, ne sont autres que : « Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez donc et enseignez toutes les nations ». Le cardinal Pie commente ici : « Remarquez que Jésus-Christ ne dit pas tous les hommes, tous les individus, toutes les familles, mais toutes les nations. Il ne dit pas seulement : baptisez les enfants, catéchisez les adultes, mariez les époux, administrez les sacrements, donnez la sépulture religieuse aux morts. Sans doute, la mission qu’il leur confère comprend tout cela, mais elle comprend plus que cela, elle a un caractère public, social, car Jésus-Christ est le roi des peuples et des nations. Et comme Dieu envoyait les anciens prophètes vers les nations et vers leurs chefs pour leur reprocher leurs apostasies et leurs crimes, ainsi le Christ envoie ses apôtres et son sacerdoce vers les peuples, vers les empires, vers les souverains et les législateurs, pour enseigner à tous sa doctrine et sa loi. Leur devoir, comme celui de saint Paul, est de porter le nom de Jésus-Christ devant les nations et les rois, et les fils d’Israël » (III, 514). Jésus, encore, ne nous a enseigné qu’une seule prière. Une seule. En voici les mots : « Vous prierez donc ainsi : Notre Père, qui êtes aux cieux, que Votre nom soit sanctifié, que Votre règne arrive, que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » La première et la plus importante des demandes que nous devons adresser à Dieu, c’est bien l’établissement de son règne, « sur la terre comme au Ciel ».