Mais où sont les lieutenants de Dieu ?

Dieu est Roi, voilà qui est net. Malheureusement, l’esprit moderne s’est emparé non seulement des ennemis du Christ, mais aussi de ses amis et défenseurs. Dans leur combat pour le Christ Roi, certains catholiques ne résistent pas au piège antique de l’orgueil, et se voient plus grands qu’ils ne sont. « Oui au règne du Christ, mais à mes conditions », se disent-ils inconsciemment. Laissons l’historien Fustel de Coulanges nous décrire le phénomène : « La plus grande impossibilité du moment, ce qui rend le monde ingouvernable, c’est que la souveraineté de Dieu étant méconnue, chacun veut désormais être souverain dans la sphère qu’il occupe. (...) Une société où les hommes ne sont satisfaits et ne demeurent tranquilles qu’à la condition de trôner et de gouverner, est une société impossible ; un pays où se produit une pareille prétention est un pays perdu » (cité par Mgr Delassus, Vérités sociales et Erreurs démocratiques). Ces mots, malheureusement, sont valables pour tous les « sauveurs » du camp conservateur, qui se parent de la vertu du bon combat pour s’autoriser à jouer leur propre partition, au détriment de l’unité de leur camp. Et c’est ainsi qu’émerge une multitude de petits chefs au sein d’une multitude de partis, tous plus ou moins conservateurs, tous persuadés d’être LA solution, et tous coupables, par manque d’humilité, de la défaite de leur propre camp. Nul besoin d’ennemi lorsque nous sommes « représentés » par de tels « amis ».

Ce phénomène, guère nouveau et bien connu du cardinal Pie en son temps, est décrit par ce dernier comme un véritable châtiment de notre société. Le manque total de grands hommes, ce qu’il appelle « la décadence et la nullité des hommes », est le châtiment suprême des sociétés qui ont rejeté le Christ Roi. Châtiment suprême, puisque ces sociétés n’ont plus d’hommes qui puissent les délivrer de la tyrannie et les guérir de la fièvre des révolutions. « Malgré leurs vains efforts pour se hausser et se grandir, dit l’évêque de Poitiers, les hommes continuent à descendre, et chacun des sauveurs qui apparaît à l’horizon ne tarde pas à tomber au-dessous de celui qui l’a précédé ; c’est comme une compétition et une rivalité d’impuissance ». Pour ce qui est des ennemis de Dieu, rien d’étonnant : « Je le crois bien, il n’y a pas d’hommes là où il n’y a pas de caractères, il n’y a pas de caractères où il n’y a pas de principes, de doctrines, d’affirmations ; il n’y a pas d’affirmations, de doctrines, de principes, où il n’y a pas de foi religieuse et par conséquent de foi sociale. (…) Comment seraient-ils des guides sûrs quant aux questions pratiques de second ordre, ceux pour qui la question première et capitale n’existe pas encore ? N’apprendront-ils donc point, à l’école de l’Histoire et du malheur, ce qu’ils ne veulent pas entendre de notre bouche, à savoir qu’on ne se moque pas de Dieu ? Or, c’est se moquer de Dieu que de se poser socialement en dehors de Lui. Aussi longtemps que les droits de Dieu ou de son Christ seront méconnus, passés sous silence, la confusion régnera par rapport à tous les droits secondaires, et cette confusion propice aux complots du despotisme et de l’anarchie reconduira une fois de plus aux alternatives de la servitude et de la terreur ». Mais pour ce qui est des catholiques libéraux et conservateurs, c’est selon lui encore moins étonnant : « Les principes manquant, la disette d’hommes est devenue si grande dans le camp de l’ordre qu’on ne voit surgir en ce temps ni chef politique, ni chef militaire, ni prince, ni prophète qui nous fasse trouver le salut. (…) Les catholiques reculent devant la logique du bien. (...) A l’heure où il serait si essentiel que les bons fussent pleinement bons, voici que, contrairement à la recommandation de l’Apôtre, il s’est établi une société de la lumière et des ténèbres, une convention du Christ avec Bélial, un pacte du fidèle avec l’infidèle, un accord du temple de Dieu avec les idoles, et quand l’Eglise nous crie avec le même apôtre : " Sortez de ce milieu, séparez-vous-en, ne touchez pas à cet ordre immonde d’idées et de choses, et moi je vous reprendrai sous ma protection et vous replacerai sur mon sein paternel " ; voici que c’est le christianisme du siècle qui veut éclairer l’Eglise ». En d’autres termes, ceux qui veulent nous sauver sont presque tous atteints de cette maladie du libéralisme. « Malades désespérés qui invoquent à grands cris le médecin, mais à la condition de lui dicter ses ordonnances et de n’accepter pour régime curatif que celui-là même qui les a réduits à la dernière extrémité. Naufragés qui se noient, et qui appellent le sauveteur, mais résolus à repousser la main qu’il leur offre, tant qu’il n’aura pas à repousser lui-même à son cou la pierre qui les a fait descendre et qui les retient au fond de l’abîme. »

Suite : Et pourtant, la demi-mesure n'est-elle pas aujourd'hui la voix de la prudence ?