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Et pourtant, la demi-mesure n'est-elle pas aujourd'hui la voix de la prudence ?

Une anecdote éclaircira pour nous ce point. Devant le cardinal Pie, qui lui reproche son manque de courage religieux, Napoléon III se justifie : « Croyez-vous que l’époque où nous vivons comporte cet état de choses, et que le moment soit venu d’établir ce règne exclusivement religieux que vous me demandez ? Ne pensez-vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ? » A quoi l’évêque de Poitiers repartit directement : « Sire, quand de grands politiques comme votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner, parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque, et comme évêque je leur réponds : le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien, le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer ». Ces paroles furent prophétiques, l’empire s’effondrant quelques années à peine après cette discussion. En 1872, s’adressant aux responsables du pays, et commentant un passage du prophète Aggée, il enfonça le clou : « C’est le Seigneur qui parle, le Dieu des armées : En vous séparant de Moi, vous avez voulu vous grandir, et vous voilà rapetissés. Vous ne parliez que de progrès et il y a eu recul. Vous ne rêviez que gloire, vous avez eu la défaite et l’opprobre. Vous ne connaissiez que les mots de liberté, d’émancipation : vous avez subi et vous subissez encore la domination étrangère ; vous exaltiez la prospérité publique ; vous vous débattez sous les étreintes d’une dette effroyable et vous ne savez comment égaler l’impôt à vos charges. En toutes choses vous avez visé au plus et voici que vous êtes en face du moins. (...) Parce que, tout entier à votre propre intérêt, vous avez négligé le service de Dieu. Chacun de vous s’empressait à sa maison et la Mienne était déserte, à ses affaires humaines et les affaires divines étaient tenues pour rien. C’est pourquoi le Ciel a reçu défense de vous accorder ses faveurs. » (Carême 1872)

La vérité, c’est que Dieu exècre par-dessus tout la demi-mesure, les faux compromis, la fausse prudence. « Je connais tes œuvres. Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Que n’eusses-tu été froid ou bouillant ! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche » (Apocalypse, III, 14-16). « Quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai aussi devant mon Père qui est dans les cieux » (Evangile selon saint Matthieu, X, 33). Ailleurs, saint Jean annonce que ceux qui n’osent pas avouer leur foi partageront le même sort que ceux qui ne croient pas, et dont le partage sera l’étang de feu. « Pour leur part, les craintifs et les incrédules iront brûler dans l’étang de feu. » (Apocalypse, XXI, 8)

Mgr Pie, de son côté, réfute l’objection que la lâcheté met aujourd’hui sur presque toutes les lèvres. « Le catholique timide se dit : "A tort, sans contredit, la sphère dans laquelle je suis placé sans l’avoir choisi n’est pas une sphère chrétienne. M’y poser en chrétien serait une singularité et un contraste, parfois même ce serait une provocation au sarcasme et au blasphème. Il faut bien se plier aux exigences des temps". Répondons-lui : C’est parce que Jésus-Christ est méconnu de beaucoup de vos contemporains que vous vous croyez autorisé à le méconnaître ; c’est parce qu’un souffle mauvais et irréligieux a passé sur la génération présente que vous revendiquez le droit de participer à la contagion. Eh bien ! Sachez-le, cette infidélité générale que vous invoquez comme une excuse, c’est une circonstance qui aggrave plutôt qu’elle n’atténue votre faute. En face de cette apostasie du grand nombre, vous étiez tenu de déclarer plus hautement votre foi et de devenir ainsi un exemple et une protestation. N’entendez-vous pas retentir à vos oreilles la solennelle affirmation du Sauveur : "Si quelqu’un rougit de moi et de mes paroles parmi cette race adultère et pécheresse, le Fils de l’homme rougira aussi de lui, lorsqu’il viendra accompagné des saints anges dans la gloire de son Père" (Evangile selon saint Marc, VIII, 38). Honneur donc à vous, chrétiens, qui êtes conséquents avec vous-mêmes ; honneur à vous qui croyez et qui ne rougissez point de votre croyance. Celui que vous confessez devant les hommes, sans ostentation, sans jactance, mais aussi sans respect humain, sans fausse honte, vous confessera devant son Père et devant ses anges » (Instruction pastorale sur l’obligation de confesser publiquement la foi chrétienne, Carême 1874).

Suite : Pour la restauration du règne social de Jésus-Christ