Le projet éducatif
Quel que soit le champ d’action éducatif considéré, l’intelligence y joue un rôle premier au sens où il s’agit avant tout d’opérer des choix ordonnés.
L’éducateur doit user d’autorité pour aider l’éduqué à devenir un être responsable, capable de vie sociale et sachant le sens de la vie ; un adulte qui puisse réussir sa vie (professionnelle et familiale), être autonome et remplir sa mission au sein de la société (y compris au plan politique). A cet effet, un projet éducatif doit être élaboré en fonction de l’objectif fixé précédemment. Plusieurs leviers sont à la disposition de l’éducateur. Ils sont interdépendants et à manipuler à bon escient avec précaution. Afin de développer l’intelligence de l’enfant, il est important de suivre une stratégie par étapes pour pouvoir assimiler l’ensemble qui fera de lui un homme libre et responsable.
La confiance en soi
La première étape de ce lent et long travail commence par la confiance en soi que seul l’adulte peut donner à l’enfant car ce dernier ne connaît « rien ». Le développement de sa personnalité est donc intimement lié au fait de la favoriser. Il s’agit pour l’éduqué d’acquérir un sentiment de valeur (= traduction subjective) fondé sur une valeur réelle (= élément objectif), qu’il connaît et dont il peut parler.
Stratégie d’action : s’intéresser prioritairement aux points forts pour les développer, plutôt qu’aux points faibles pour les corriger. Cela va exiger rigueur, attention et persévérance qui auront des retombées positives sur les points faibles.
Connaissance de soi : la confiance en soi passe par un légitime amour de soi, qui n’est ni égoïsme ni orgueil : être content de soi / être content d’être soi (= ne pas rêver d’être un autre). L’éducateur ne doit pas faire des comparaisons inutiles avec les autres. On ne compare pas des personnes mais des performances.
Rôle du milieu familial : attirance... ou repoussoir pour le choix des loisirs ou de la profession.
Devenir soi-même est une conquête : besoin d’aller de l’avant, de surmonter les épreuves, d’affronter les difficultés. La confiance en soi vient d’avoir vaincu, de s’être vaincu. Mais l’échec fait partie de la vie et ne doit pas être source de découragement. Il faut apprendre à analyser – à froid – ces informations pour qu’en sorte du positif. Ce sont tous ces à-côtés qui forgeront peu à peu l’intelligence et la réflexion car l’enfant commence à construire son expérience du monde réel.
Dès le plus jeune âge il faut :
- insuffler cette confiance (prendre son biberon seul, lacer ses chaussures, faire des châteaux de sable) ;
- donner le sens de la conquête, apprendre l’exigence et en même temps accepter l’enfant tel qu’il est avec son potentiel et ses limites ;
- apprendre à s’évaluer mais pas à se comparer, à s’aimer mais pas s’idolâtrer, à s’accepter mais pas à se laisser aller.
La prise de risque
La seule chose dont on soit sûr à la naissance, c’est de mourir. Chez l’homme il y a donc un fond d’anxiété. L’avenir comporte une part de risque, car il offre des opportunités tout en recelant des dangers potentiels.
L’intelligence prépare à la prise de risque, offre la capacité de peser le pour et le contre pour décider car l’immobilisme tue. La confiance en soi n’empêche pas que l’avenir soit incertain et qu’il faille aborder des situations imprévues, voire dangereuses. L’éduqué devra affronter le passage d’un examen, d’un entretien d’embauche, d’une décision de mariage, celle d’avoir des enfants, de déménager, un licenciement...
Aujourd’hui, il s’y prépare en affrontant un changement de classe, une arrivée dans une nouvelle école ou des débuts dans la pratique d’un sport. L’éducateur doit faire diminuer l’angoisse, susciter la sérénité, ne jamais balayer les peurs mais les faire émerger pour les comprendre et les raisonner. Quand on sent un enfant angoissé, il faut le faire parler pour qu’il exprime ses peurs, ses soucis, ses tracas. L’enfant va être obligé de reformuler, trier, se calmer, préciser, analyser, au lieu de se bloquer. Cela permettra aussi de faire le tri entre danger réel et danger imaginaire. C’est un travail d’intelligence et de réflexion pour définir le mal être et y porter remède.
Ne pas prendre de risques, c’est mourir par immobilisme et sclérose ; paniquer devant les risques, c’est perdre sa lucidité et quelquefois sa vigilance vis-à-vis des vrais dangers. La maîtrise de l’anxiété s’apprend au plus jeune âge. Un enfant pratiquant le théâtre fera un adolescent moins anxieux à la veille d’un oral et un adulte capable de prendre la parole en public. Il ne faut jamais dramatiser inutilement les événements. Les inquiétudes relèvent le plus souvent de l’imaginaire ! En outre, le pire n’est jamais certain et le désespoir est une sottise. Un bon éducateur doit donner l’exemple en ne dramatisant jamais, en ne cédant jamais ni à la panique ni au désespoir.
L’autonomie
L’autonomie nécessite un apprentissage gradué qui commence par l’exécution de tâches simples. Au berceau, on donne des jouets au bébé ou on suspend des mobiles au-dessus de lui ; puis il apprend à boire son biberon tout seul ; plus tard, à mettre ses habits sans aide. Il est souhaitable que les degrés dans l’autonomie soient croissants et progressifs. L’autonomie grandit si l’enfant apprend à gérer son temps. Elle ne consiste pas à faire ce qu’on veut, mais ce qu’on doit, dans des limites fixées avec un mode d’action qui peut rester libre.
Après la découverte (infans) vient la progression (puer) et après seulement l’autonomie (adulescens). Accorder de l’autonomie exige de suivre une méthode rigoureuse. Il faut savoir être ordonné et clair dans sa manière de donner la mission et ses objectifs et d’évaluer le temps nécessaire à l’accomplissement.
Limites et interdits
La distinction entre l’erreur et la faute est capitale. La notion de limite est liée indissolublement à la notion d’interdit. L’autorité ne peut se passer du pouvoir de sanction (dans ses deux acceptions : reconnaissance des mérites et punition des fautes). La transgression d’un interdit est une faute. Il y a donc nécessité d’établir la séquence : limite-interdit-transgression-punition. Tout ce qui n’est pas expressément interdit est permis, même si le choix peut porter à l’erreur. Cela participe à la réalisation et à l’édification de son expérience du réel. Or rappelons-le, l’intelligence s’appuie sur le réel pour son accession au Vrai. Dire ce qui est permis réduit l’usage du libre arbitre à peu de choses, alors que dire ce qui est interdit ouvre un champ immense à l’action. Et à la progression.
L’homme, un être éminemment social
Il est bon que le travail de socialisation soit mené en même temps que celui du développement de la personnalité car la vie en société ne peut être anarchique. C’est rendre service à ses enfants que les éduquer à vivre en société, à en accepter les contraintes, les interdits, les règles du jeu, qui sont le lot et le fondement de toute vie sociale.
La famille est elle-même une cellule sociale où cet apprentissage s’exécute naturellement, sans mise en scène. L’enfant va y saisir que l’agrément de la vie familiale passe par l’acceptation de règles, de contraintes, d’interdits. Et cela deviendra une habitude de comportement social, qui lui permettra plus tard de s’intégrer dans la vie professionnelle, associative puis de créer lui-même, le cas échéant, une cellule familiale.
Pour s’habituer aux contraintes, le plus tôt est le mieux. Par quoi peut commencer ce nécessaire apprentissage ? Par régler la bonne utilisation du jour et de la nuit, celle-ci étant faite pour dormir... et pour laisser dormir aussi le reste de la famille...
Il y a pour les parents un discernement à acquérir, un instinct naturel à apprivoiser, mais aussi une obligation à « faire le bien de l’enfant » sans se laisser « manipuler » par lui, ce qui exige une maîtrise de l’affectif et une lutte contre une certaine forme d’égoïsme (cédons pour avoir la paix !). L’éducation doit rester fidèle à une ligne directrice, mais la manière dont l’éducateur conduit son action évolue dans le temps avec le développement de la personnalité de l’enfant, l’éveil de son intelligence raisonnable et le renforcement de sa volonté.
Au fur et à mesure que l’intelligence de l’enfant va se développer et grandir, l’éducateur expliquera les raisons de ce cadre. Les contours du puzzle -le plus facile- étant ainsi achevés, il pourra composer une partie du tableau et faire découvrir petit à petit le dessin d’ensemble.
La vie en société
Au-delà du cercle familial, la rencontre et la relation avec « l’autre », présent partout, à l’école, dans la rue, dans les transports en commun, à l’hôpital, s’en trouveront facilitées.
Confrontation, acceptation, affrontement, fuite, séduction, indifférence... L’action éducative, visant à donner confiance en soi et à maîtriser son stress, favorise la sérénité dans ces inévitables rapports. La sociabilité de l’éducateur entraîne celle de l’éduqué. Une fois de plus, l’action éducative conduit l’éducateur à parfaire sa propre éducation.
Pour être heureux, évitons la comparaison aux autres. On l’oublie souvent mais que ce soit à l’école, au travail, dans le sport ou dans l’art, ce sont des performances, l’efficacité d’une action, la qualité d’une œuvre qui sont évaluées ; pas les individus.
Echapper à cette confusion est aussi une question d’intelligence. Trop souvent absente des projets éducatifs, il faut l’admettre.