Du devoir civique des catholiques
Court rappel sur les devoirs du chrétien dans l’ordre privé
En pratique, l’action peut s’exercer, soit dans les affaires privées et domestiques, soit dans les affaires publiques. Dans l’ordre privé, le premier devoir de chacun est de conformer très exactement sa vie et ses mœurs aux préceptes de l’Evangile, et de ne pas reculer devant ce que la vertu chrétienne impose de quelque peu difficile à souffrir et à endurer. Tous doivent, en outre, aimer l’Eglise comme leur Mère commune, obéir à ses lois, pourvoir à son honneur, sauvegarder ses droits et prendre soin que ceux sur lesquels ils exercent quelque autorité la respectent et l’aiment avec la même piété filiale.
De l’importance de l’engagement des catholiques dans les affaires de la Cité…
Il importe encore au salut public que les catholiques prêtent sagement leur concours à l’administration des affaires municipales, et s’appliquent surtout à faire en sorte que l’autorité publique pourvoie à l’éducation religieuse et morale de la jeunesse, comme il convient à des chrétiens : de là dépend surtout le salut de la société. Il sera généralement utile et louable que les catholiques étendent leur action au delà des limites de ce champ trop restreint et abordent les grandes charges de l’Etat. Généralement, disons-nous, car ici Nos conseils s’adressent à toutes les nations. Du reste, il peut arriver quelque part que, pour les motifs les plus graves et les plus justes, il ne soit nullement expédient de participer aux affaires et d’accepter les fonctions de l’Etat.
… Pour ne pas laisser la place aux ennemis de l’Eglise.
Mais généralement, comme Nous l’avons dit, refuser de prendre aucune part aux affaires publiques serait aussi répréhensible que de n’apporter à l’utilité commune ni soin ni concours ; d’autant plus que les catholiques, en vertu même de la doctrine qu’ils professent, sont obligés de remplir ce devoir en toute intégrité et conscience. D’ailleurs, eux s’abstenant, les rênes du gouvernement passeront sans conteste aux mains de ceux dont les opinions n’offrent certes pas grand espoir de salut pour l’Etat. Ce serait, de plus, pernicieux aux intérêts chrétiens, parce que les ennemis de l’Eglise auraient tout pouvoir et ses défenseurs aucun. Il est donc évident que les catholiques ont de justes motifs d’aborder la vie politique ; car ils le font et doivent le faire non pour approuver ce qu’il peut y avoir de blâmable présentement dans les institutions politiques, mais pour tirer de ces institutions mêmes, autant que faire se peut, le bien public sincère et vrai, en se proposant d’infuser dans toutes les veines de l’Etat, comme une sève et un sang réparateur, la vertu et l’influence de la religion catholique.
L’engagement politique aux premiers âges de l’Eglise…
Ainsi fut-il fait aux premiers âges de l’Eglise. Rien n’était plus éloigné des maximes et des mœurs de l’Evangile que les maximes et les mœurs des païens ; on voyait toutefois les chrétiens incorruptibles, en pleine superstition et toujours semblables à eux-mêmes, entrer courageusement partout où s’ouvrait un accès. D’une fidélité exemplaire envers les princes et d’une obéissance aux lois de l’Etat aussi parfaite qu’il leur était permis, ils jetaient de toute part un merveilleux éclat de sainteté ; s’efforçaient d’être utiles à leurs frères et d’attirer les autres à suivre Notre-Seigneur, disposés cependant à céder la place et à mourir courageusement s’ils n’avaient pu, sans blesser leur conscience, garder les honneurs, les magistratures, et les charges militaires.
De la sorte, ils introduisirent rapidement les institutions chrétiennes non seulement dans les foyers domestiques, mais dans les camps, la Curie, et jusqu’au palais impérial. «Nous ne sommes que d’hier et nous remplissons tout ce qui est à vous, vos villes, vos îles, vos forteresses, vos municipes, vos conciliabules, vos camps eux-mêmes, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum1.». Aussi lorsqu’il fut permis de professer publiquement l’Evangile, la foi chrétienne apparut dans un grand nombre de villes, non vagissante encore, mais forte et déjà pleine de vigueur.
… un exemple qui doit être renouvelé avec discernement.
Dans les temps où nous sommes, il y a tout lieu de renouveler ces exemples de nos pères. Avant tout, il est nécessaire que tous les catholiques dignes de ce nom se déterminent à être et à se montrer les fils très dévoués de l’Eglise ; qu’ils repoussent sans hésiter tout ce qui serait incompatible avec cette profession ; qu’ils se servent des institutions publiques, autant qu’ils le pourront faire en conscience, au profit de la vérité et de la justice ; qu’ils travaillent à ce que la liberté ne dépasse pas la limite posée par la loi naturelle et divine ; qu’ils prennent à tâche de ramener toute constitution publique à cette forme chrétienne que Nous avons proposée pour modèle. Ce n’est pas chose aisée que de déterminer un mode unique et certain pour réaliser ces données, attendu qu’il doit convenir à des lieux et à des temps fort disparates entre eux.
Néanmoins, il faut avant tout conserver la concorde des volontés et tendre à l’uniformité de l’action. On obtiendra sûrement ce double résultat si chacun prend pour règle de conduite les prescriptions (précisons en ce temps de crise : les prescriptions traditionnelles. NDLR) du Siège Apostolique et l’obéissance aux évêques, que l’Esprit Saint a établis pour régir l’Eglise de Dieu.
1 Tertullien, Apol.n.37