Le rôle de l'école
Pour aborder le rôle de l’école dans la construction d’une personnalité équilibrée, nous avons interrogé M. l’abbé Louis-Étienne Héon, directeur de l’école Saint-Jean-Baptiste-de-La-Salle, à Camblain-l'Abbé.
Monsieur l’abbé, les enfants et les adolescents sont des personnes en devenir. Leur personnalité se construit et s’affirme avec les années. L’adolescent notamment a une personnalité non achevée, par conséquent instable. Y a-t-il des étapes communes à tous les enfants dans cette construction ?
Dieu nous a créés identiques par la nature mais différents par notre personnalité. Chaque individu passe par des étapes communes : l’enfance, l’adolescence puis l’âge adulte. L’enfant a une grande simplicité car il vit sans se soucier de l’instant d’après, confiant dans les adultes qui s’occupent de lui. L’adolescent découvre le monde qui l’entoure et particulièrement les relations sociales. Il n’a pas encore toute la profondeur de l’adulte ni son expérience mais possède déjà certaines de ses qualités. Cette étape de transformation peut être déstabilisante parce que le jeune participe, sous certains aspects aux préoccupations de l’adulte et sous d’autres à celles de l’enfant. Quant à l’adulte, il doit chercher le bien commun et s’en soucier plus que de sa personne.
Il ne faut pas oublier cependant que chaque personne est différente et que l’éducation nécessite la vertu de prudence pour s’adapter à chacun.
Traversant les étapes de la construction de sa personnalité, l’enfant ou l’adolescent est-il plus fragile face à des facteurs extérieurs pouvant marquer durablement l’adulte futur ?
L’Église a de tout temps préservé la jeunesse car il est évident que nous sommes plus influençables à cette période de la vie. De la même manière qu’un bâtiment a besoin d’être étayé lors de sa construction, de même le jeune doit être soutenu et guidé. De nombreuses congrégations se sont dévouées pour la jeunesse : jésuites, frères des écoles chrétiennes ou salésiens pour n’en citer que trois. Saint Jean Bosco est l’une des plus belles figures qui illustre ce dévouement. C’est donc pour protéger cette fragilité que le Bon Dieu a toujours suscité des âmes généreuses pour l’éducation. À l’instar de ces congrégations, la Fraternité Saint-Pie X comme les dominicaines enseignantes poursuivent cette œuvre d’Église.
Quels facteurs de déséquilibres constatez-vous parmi vos élèves indépendamment de l’instabilité inhérente à l’adolescence ?
Le monde dans lequel nous vivons nous influence malgré la mise en garde de Notre-Seigneur Jésus-Christ : «Vous êtes dans le monde mais vous n’êtes pas du monde». Deux points illustrent particulièrement cela. D’abord la perte du sens hiérarchique. L’exemple des autorités défaillantes et la critique influencent la jeunesse. L’adolescent, déjà enclin à la critique, y est encouragé par cette ambiance actuelle. Ensuite on peut noter aussi que la jeunesse grandit dans un monde dont la finalité est le plaisir. La crise sanitaire n’a fait qu’accroître cette réalité. En conséquence, il y a une perte du sens de l’effort qui exacerbe la paresse inhérente à l’adolescent (je ne parle pas ici des adolescentes qui sont sans doute un peu différentes sur ce point).
Le «bon sens» ou le lien au réel nous semble capital dans la construction d’une personnalité équilibrée. Constatez-vous une «virtualisation» des esprits parmi vos élèves ?
Tous les jeunes ne sont pas confrontés de la même manière à ce problème des écrans et d’Internet. Le rôle de la famille est absolument déterminant sur ce point. Certaines autorisent tout ou quasiment : smartphone, forfait illimité, séries… Les jeunes grandissent alors dans un monde du plaisir, le monde de Pinocchio. Les conséquences sont les mêmes que dans la célèbre fable italienne. D’autres préservent leurs enfants pour leur bien et éduquent à un usage raisonné des moyens modernes. Il faut un grand équilibre de la part des parents (l’exemple est déterminant). Ils doivent aussi proposer de saines activités pour ne pas laisser le jeune oisif et lui permettre de développer sa personnalité. Le scoutisme est certainement une très bonne chose pour cela (même s’il peut ne pas convenir à tout le monde).
Quelles solutions et actions mettez-vous en place au sein de l’école pour assurer le développement d’une personnalité équilibrée des élèves ?
Nos écoles sont avant tout des œuvres d’Église. La communion et la confession apportent les secours surnaturels indispensables à cette période de la vie. À Camblain, les prêtres sont très disponibles, surtout le soir, pour répondre aux multiples questions que se pose un jeune. L’élève trouve son équilibre aussi par la répétition des actes vertueux. C’est pourquoi les garçons se dévouent pour l’École dans des services. Il faut alors avoir la patience de leur apprendre à se donner, de les aider, voire de les reprendre. Nous mettons aussi l’accent sur l’entraide des plus grands envers les plus jeunes et l’amitié forte dans les classes (les promotions pour les plus grands). Ces deux derniers points sont importants car ils répondent précisément aux carences de la société moderne individualiste.
Plus largement, quels conseils souhaitez-vous donner aux parents en 2023 ?
Trois conseils peut-être : la prière car vous ne formez pas seulement des hommes mais des saints. La prudence, la patience et l’humilité sont sans doute les trois vertus les plus nécessaires pour l’éducation et nous les obtenons par la prière. Ensuite, la sollicitude des mamans les premières années est déterminante pour toute la vie. «La sainteté des enfants s’acquiert sur les genoux de leur maman» et les vertus aussi telles que l’ordre, l’obéissance ou la générosité. Ce que vous faites les quatre premières années de la vie se constate facilement à l’adolescence. Enfin, prenez garde aux écrans. Ne cédez pas aux caprices des jeunes adolescents pour acheter une paix sociale dans la famille. Tout le monde sera perdant : et votre enfant et toute la famille.
Vous êtes des héros parce que non seulement le monde n’aide pas l’éducation mais aussi et surtout parce que vous formez à l’héroïcité des vertus, c’est-à-dire à la sainteté. Quand vient parfois la fatigue, la lassitude ou le découragement, il est bon de se rappeler cette réalité.
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