Le rôle de la famille
Nous l’avons évoqué, une première cause de déséquilibre de la personnalité vient de notre intelligence trompée par les idéologues et théoriciens en tout genre, qui finalement ne sont souvent que des faux prophètes. C’est pourquoi, une première chose que nous pouvons faire dans l’éducation que nous donnons à nos enfants, est de leur donner le goût de la vérité et de l’étude. Saint Thomas plutôt que Freud comme l’illustre la couverture de ce numéro.
Donner le goût de la vérité et de l’étude : saint Thomas plutôt que Freud
Sans travail, sans véritable étude, comment peuvent-ils former leur intelligence et guider leur agir vers le bien ? Mais comment s’y prendre ? Il y a probablement beaucoup de manières de faire : éveiller à la lecture, raconter de belles histoires, initier l’enfant à la méditation, montrer l’importance du catéchisme et de la doctrine au-dessus de toutes les autres matières, avoir avec eux des activités mettant en pratique ce qu’ils apprennent pour qu’ils touchent du doigt l’importance d’apprendre… Mais il y a une chose que parfois nous oublions. Pour cela, prêtons la parole à André Charlier, dans sa lettre «Je veux des héros» aux parents :
«[…] Ce qui me frappe le plus, c’est combien cette jeunesse est peu virile. Et pourquoi l’est-elle si peu ? Simplement parce que vous n’avez jamais rien exigé d’elle […]. Ils ne sont pas loin de se considérer comme des victimes parce que le Latin et les Mathématiques ne leur livrent pas pour rien leurs secrets. Cela vient de ce que, dans l’éducation que vous leur avez donnée, ils ont toujours tout reçu pour rien. Vous avez été victimes de l’universelle démagogie et du libéralisme moderne qui considère que l’autorité est un vestige des temps barbares. Vous avez répudié l’autorité ; vous avez voulu plaire à vos fils afin d’être aimés : mais vous ne serez pas plus aimés que nos pères l’ont été et vous serez peut-être moins estimés de vos enfants eux-mêmes quand ils auront l’âge de juger. Car vous ne leur avez pas appris que tout se paye et que les choses de prix se payent cher. Ils n’ont jamais eu besoin de mériter les plaisirs que vous leur avez donnés ; ils n’ont jamais appris à faire une chose qu’ils n’avaient pas envie de faire. Or, ce n’est pas une chose agréable en soi, par exemple, d’apprendre les déclinaisons latines ou allemandes.»
Apprendre est difficile. L’enfant doit faire un effort, les parents doivent imposer cet effort, donner le goût de cet effort qui apporte la joie de connaître. Pour cela, il faut une éducation virile.
S’appuyer sur les anciens
Pour reprendre le mot de Bernard de Chartres, nous sommes des nains sur les épaules de géants. Le savoir a une dimension cumulative. Si nous ne puisons pas à la source que la pensée des anciens inonde de vérité, nous risquons de patauger dans les eaux croupies et les marécages des menteurs.
Pour cela, l’humilité de l’élève avide de savoir nous sera d’une plus grande aide que l’orgueil de l’autodidacte jaloux de son indépendance. Le conseil que nous pouvons suivre dans l’éducation que nous donnons à nos enfants peut être celui-ci : l’humilité. Il faut se faire petit pour apprendre, admettre son ignorance pour s’ouvrir à la connaissance, se taire pour écouter ou encore ouvrir les yeux pour s’émerveiller.
De manière concrète, avec nos enfants, nous pouvons faire attention à deux points.
Tout d’abord, instaurer le respect du maître vivant. L’instituteur, l’abbé en chaire ou en classe, la religieuse, la maîtresse ou le professeur sont des maîtres pour nos enfants, détenteurs d’un savoir qu’ils enseignent. Oh certes, ils sont comme nous, des femmes et des hommes imparfaits. Parfois ils peuvent se tromper ou mal se faire comprendre. Mais nous devons apprendre à nos enfants à les respecter, à ne pas leur instiller le doute que finalement, il n’est pas si utile que cela d’écouter le maître, voire qu’il est possible de le critiquer ou le moquer.
Enfin, instaurer le respect des maîtres disparus en ayant soin des livres. Pour cela, il nous faut d’abord en avoir. Une maison sans bibliothèque est comme une citadelle sans défense, disait Saint Louis. Une pièce sans livres, c’est comme un corps sans âme, affirmait Cicéron. Le soin des livres et l’apprentissage de la lecture s’apprennent très tôt. Nous pouvons en donner l’exemple à nos enfants. S’ils ne voient jamais leur père ou leur mère avec un livre dans les mains, ils ne liront jamais ou en soufflant bruyamment quand ce sera imposé par l’école.
Une dernière petite remarque : un déménageur racontait qu’il avait constaté que lorsque qu’il y avait des cartons de livres à déménager, il n’y avait jamais de téléviseur. Il y a là peut-être aussi quelque chose à méditer.
Choisir ses guides et maîtres
Toujours dans le domaine de l’intelligence, un autre point que nous pourrions évoquer consiste dans le choix de ses maîtres.
L’homme est un animal raisonnable sociable. Il vit en société, et cela est naturel pour lui. C’est donc dans le cadre de la société dans laquelle il évolue qu’il doit se construire une personnalité équilibrée.
Mais la société ne tend vers son bien commun qu’en raison de l’autorité. Si l’autorité est mauvaise, alors elle ne l’atteint pas. Nous ne le savons que trop, la société est frappée de plein fouet par une crise de l’autorité, l’autorité légitime se détourne parfois de la Vérité et du Bien. Aussi choisissons-nous d’autres guides pour nous éclairer, nous enseigner. Ces choix que nous posons, que nous faisons parfois inconsciemment, sont primordiaux. Particulièrement pour nos enfants, adolescents et jeunes. Nous pouvons les accompagner dans ces choix qu’ils poseront. Voici quelques idées.
Tout d’abord, préférer des gens que nous connaissons véritablement, dans notre entourage. Il faut se méfier des gens que nous ne connaissons pas (notamment les maîtres «virtuels» : «YouTubeurs», blogueurs, etc.). Les personnes de notre entourage sont placées là par la Providence divine. Un oncle, une marraine, un prêtre, un professeur, une grand-mère, un chef scout, un ami véritable, ce sont autant de guides possibles pour nos enfants.
Nous pouvons aussi faire découvrir à nos jeunes les héros des temps passés, à travers des biographies par exemple. Ces exemples réels, couvrant une vie complète, sont riches d’enseignements et apportent beaucoup à nos enfants en plus de nourrir leurs rêves.
Enfin, Dieu est la vraie sagesse. Plus une personne est proche de Lui, plus Dieu anime chacun de ses actes, moins nous avons de chance de nous tromper en nous référant à cette personne pour nous guider. Finalement, le seul et vrai guide, c’est Dieu lui-même. La connaissance de Dieu à travers l’étude de la doctrine, la prière, les sacrements et la méditation est la vraie et unique boussole du chrétien. Cette connaissance de Dieu, cette sagesse (qui est folie pour le monde) va orienter notre volonté vers le seul et unique bien, Dieu Lui-même.
Cultiver la maîtrise de soi et le sens de l’honneur
Beaucoup de causes de déséquilibres de la personnalité viennent aussi de déséquilibres de la volonté. Nous l’avons vu, cela se traduit principalement par un côté capricieux, le besoin d’assouvir immédiatement une envie ou l’impossibilité à se tenir et à surmonter une émotion.
En tant que parents, nous apprenons à nos enfants à se tenir. Se tenir à table, se tenir à la messe, savoir dire bonjour, saluer les adultes, savoir se taire, s’effacer devant une porte, proposer son aide, toutes ces petites choses qui fleurissent le quotidien, et qui, au-delà du savoir-vivre, sont tout simplement la délicatesse de la charité. En résumé, il s’agit de se gêner pour ne pas gêner son prochain, de savoir se tenir et donc se maîtriser. La maîtrise de soi acquise à travers les petites choses de la politesse prépare la maîtrise de soi dans les moments les plus difficiles : surmonter une épreuve avec courage et décence mais aussi vaincre une tentation. Pour cela, les parents, en plus de l’exigence de l’exemple, doivent reprendre leurs enfants, parfois quotidiennement, parfois pendant des années.
Cependant, peut-être oublions-nous parfois un élément essentiel : le sens de l’honneur. Il est bon que les enfants apprennent à respecter ce qu’ils sont, sous le regard de Dieu : des enfants de Dieu, temples du Saint-Esprit, tabernacles de l’Eucharistie, rachetés au prix du Sang de Dieu. Le sens de l’honneur chrétien, c’est avoir conscience de cela et vivre selon cela. Cet honneur-là englobe l’honneur naturel, celui qui fait qu’un homme est fier de son nom et qui, au nom de cet honneur, sait se commander à lui-même. L’honneur chrétien ajoute à l’honneur humain les oriflammes de la vertu comme l’illustre la vie héroïque de Léon de Corte mort à 18 ans après six ans de polio et dont Gustave Thibon a pu dire : « Nul vivant n’est plus vivant pour moi que ce jeune mort : il nous montre que le vrai visage de l’homme émerge au-dessus des remous de la matière1.» Il y a là un esprit chevaleresque dans ce mélange de délicatesse et d’honneur.
Donner le goût du réel et des choses simples
«Et je souhaite que dans ces temps si troublés, dans cette atmosphère si délétère dans laquelle nous vivons dans les villes, vous retourniez à la terre quand c’est possible. La terre est saine, la terre apprend à connaître Dieu, la terre rapproche de Dieu, elle équilibre les tempéraments, les caractères, elle encourage les enfants au travail.» Mgr Lefebvre, sermon pour son jubilé sacerdotal, à Paris le 23 septembre 1979.
Dans l’éducation que nous donnons à nos enfants, là encore, nous pouvons veiller à leur apprendre le goût du réel. Enfant, cela passe par un lien avec la terre (pêche, chasse, promenade, potager, cabane dans les arbres, etc.) et un amour de l’effort dans les choses simples.
L’enfant doit comprendre très tôt que l’effort apporte de la joie. Et même, que les joies les plus grandes ne s’achètent qu’au prix d’un grand effort. Pour cela, veillons à ne pas satisfaire de façon automatique leurs souhaits et leurs envies sous peine d’en faire des adultes capricieux et blasés incapables de s’émerveiller devant des choses aussi simples qu’une poésie par exemple.
Un bon remède à cet amollissement des cœurs et à cet avachissement des esprits, en plus d’une vie peut-être plus simple et moins confortable à la maison, est le scoutisme catholique. Il est une grande richesse pour aider nos enfants à se construire une personnalité équilibrée. Dans une bonne troupe ou compagnie, nos enfants découvriront le sens du réel, des responsabilités, de l’honneur, la vaillance dans l’effort, la force de surmonter les échecs, le soin des autres et le respect du chef, tout cela dans une atmosphère chrétienne.
1. Marcel et Marie de Corte, Deviens ce que tu es, Léon notre fils 1937-1955, Nouvelles Éditions Latines.
Suite : Le rôle de l'école