Action vs activisme
Comment passer à l’action sans tomber dans le piège de l’activisme ? Ne pas oublier cette phrase du Christ, lourde de sens : «Mon royaume n’est pas de ce monde.» Pour autant, faut-il ne pas combattre ? Action ou activisme ?
En dépit de la décrépitude de nos sociétés et de la léthargie imposée par la culture relativiste, nombreux sont ceux qui entretiennent un profond désir de s’investir dans ce que l’on pourrait appeler la «Contre-Révolution» en distinguant bien le risque de vouloir faire « une Révolution en sens contraire » davantage que «le contraire de la Révolution»1.
Prenons un exemple : après son bac, Untel poursuit ses études à Paris ; fort d’une bonne éducation religieuse, sensible aux sujets d’ordre politique, il sait qu’il a un rôle à jouer. Bientôt, l’ambiance électrique de la capitale lui jette en pleine face la situation révoltante de son pauvre pays. Son bouillonnant caractère le pousse à l’action : prières publiques contre l’avortement, «Manifs pour Tous», collages, formation aux «Jeunes Pros», les offres ne manquent pas. Malheureusement, l’échec apparent des solutions pacifiques et le mépris auquel il est fréquemment confronté le blessent à la hauteur de l’énergie qu’il dépense. S’ensuit une forme de désillusion, consciente ou non.
Deux réactions le guettent : le découragement ou l’aigreur. Face à l’inefficacité apparente de ses actes, il va alors privilégier «l’action directe», sur la foi des succès obtenus par le camp adverse. Son impatience l’amène à considérer les batailles perdues comme des injustices appelant une riposte. Cette «action directe» ou activisme, n’est en réalité que la forme d’un désespoir qu’il se refuse à admettre : bien entendu les résultats sont très limités car, comme dans tout conflit, la lutte finit par devenir elle-même son propre objectif, occultant la raison pour laquelle elle fut engagée. L’action n’a pas besoin d’être en force pour verser dans l’activisme, il suffit que la soif du résultat prenne le pas sur l’assurance que c’est «Dieu qui donne la victoire».
Faut-il pour autant laisser le champ libre aux pires initiatives transgressives, aux intimidations, aux vexations, à la mise au rebut de la civilisation chrétienne, sans tenter de réoccuper le terrain ? La réponse tient en trois mots : confiance, sérénité, humilité.
La confiance, même si tout porte à croire que nos moyens sont dérisoires dans cette bataille et que les avancées de la Révolution en cours depuis des décennies semblent inéluctables. En effet, nous savons que le combat est juste et qu’il sera victorieux.
La sérénité en découle : l’action juste n’est ni colérique ni inquiète, elle n’est pas frustrée de son apparente impuissance, elle sait que le tempo de la Providence n’est pas celui des hommes et que ses cheminements le sont encore moins.
L’humilité fait la liaison entre les deux concepts car elle permet de savoir rester à sa place, tout en l’occupant entièrement. L’humilité n’est pas l’effacement ni le retranchement dans une attitude de prière béate et d’inaction attentiste. Elle n’est pas non plus l’orgueil qui rendrait notre jugement indispensable et infaillible. L’humilité empêche de mettre l’action au service de sa propre gloire et pousse celui qui en a les capacités à occuper les postes où il sait son action profitable au bien commun.
Tout engagement peut être passé au crible de ces trois critères, avant même ceux, d’ordre plus prosaïque, d’efficacité et de prudence. Si l’un d’entre eux manque, on peut alors être assuré qu’à terme, l’engagement pavé de bonnes intentions donnera en réalité du grain à moudre à l’étendard d’en face, dont la moisson principale est le bouleversement de l’ordre, naturel et divin.
Revenons à notre exemple. Une troisième voie se dégage qui mêle la poursuite des actions initiales légitimes à celles de plus long terme, conformes à son devoir d’état : lutte contre ses défauts, formation spirituelle, fondation d’une famille, exemplarité au travail, témoignage décomplexé de sa foi. Là seront semées les véritables graines de la reconstruction.
Finalement, la tâche semble presque trop facile : nous n’avons pas à nous préoccuper de la moisson...
Suite : "Qu'as-tu fait de tes talents ?"
1. De Pierre Château-Jobert, lire Doctrine d’action contre-révolutionnaire.