Les pistes de reconquête
Evidemment non : il suffit de vouloir. C’est pourquoi nous devons être absolument persuadés que nous avons tous une action à mener à ce profit. Une action déterminée, concrète, qui conditionne le maintien de ce que à quoi nous croyons. En effet, il n’est pas exagéré d’affirmer que le service de Dieu, celui de notre civilisation passent à la fois par la pratique des vertus nécessaires à l’éclosion des engagements dont nous avons un besoin urgent, et par la grâce d’une éducation dédiée, volontairement et consciemment entreprise, source de tout épanouissement.
Les vertus
L’angle sous lequel il convient d’approcher la question d’un renouveau de l’engagement réside dans les vertus qu’il est nécessaire d’y exercer. Si toutes sont importantes et jouent leur rôle sous autant d’aspects, quatre d’entre elles, essentielles, se détachent.
La plus importante semble être l’humilité dans sa forme la plus exacte, la plus haute : se considérer soi-même comme si peu important, si peu nécessaire, qu’une cause ou une personne externe mérite absolument la première place, au détriment de soi. C’est tellement vrai qu’on ne relève pas de trace d’engagement réel sans que cette vertu, toute simple et si rare, occupe une place prépondérante dans la vie de celui qui s’engage.
La vertu de force, celle de l’âme, conjonction heureuse du courage et de la volonté, vient juste après. Simplement parce qu’il est toujours dur de se renoncer. En effet, toute la nature humaine pousse à l’inverse : satisfaction des concupiscences personnelles, désir d’avoir toujours raison contre tout, s’estimer le meilleur, juger son prochain ; il suffirait presque de relire la liste des péchés capitaux… Même au seul plan naturel, ils constituent autant d’obstacles à l’engagement.
La persévérance s’inscrit aussi comme une vertu capitale. Simplement parce qu’un engagement bien compris, on l’a vu, implique un caractère total, définitif. Il suffit de revenir à l’exemple du cochon : pas de retour en arrière possible. Cela semble évident : mais ça l’est moins, admettons-le, lorsqu’il s’agit d’une tâche pénible pour soi. S’engager sur un coup de tête, pour répondre à un besoin ponctuel ou satisfaire un dévouement passager est mieux que rien, c’est vrai. Mais pour autant, s’agit-il d’un engagement réel ? Certainement pas. Il suffit de voir, en ce cas, combien les raisons les plus diverses, et les plus apparemment justes, abondent et viennent facilement pour excuser un revirement, un renoncement, un abandon. S’engager nécessite d’agir dans la durée, quoi qu’il en coûte.
Moins évidente à première vue, mais pourtant si indispensable à tout engagement qu’elle mériterait de figurer en première place, la vertu de justice vient couronner l’ensemble. En effet, se considérer soi-même en serviteur, y consacrer ses forces et le faire dans la durée, permet de rendre à chacun ce qui lui est dû selon son rang, ce qui est le propre de la vertu de justice. Ne rien réclamer pour soi, donner, offrir sans arrière-pensée, admettre sans murmure des décisions prises par ceux qui sont aux responsabilités (même lorsque l’on se considère victime d’erreur) et offrir son propre renoncement avec simplicité, bonté et sourire, sans cultiver de rancœur : quelles plus belles conditions d’un engagement hautement conduit ? En un mot, sur quels pivots plus assurés et plus solides pourrait-on établir une vie morale accomplie ? Cette vertu de justice peut trouver à s’exercer au quotidien, dans la vie familiale comme dans la vie professionnelle : les occasions ne manquent pas et sa pratique est donc aisée. En faire l’expérience et en prendre l’habitude ne relève pas de l’héroïsme : encore faut-il le vouloir.
L’éducation
Etablir une hiérarchie de valeurs puis exercer des vertus, autrement dit développer des aptitudes en vue d’un bien supérieur : qui ne voit que derrière ces notions et ces exigences se cache une éducation bien comprise et bien menée ?
Il ne s’agit pas de revenir sur ce que l’éducation, toujours elle, doit mettre en œuvre : les derniers dossiers de cette revue en ont abondamment développé les aspects et il suffit de s’y référer. Aussi, mieux qu’un long discours, deux petits exemples tirés de la vie courante viennent faire comprendre ce qu’il faudrait mettre en route. Maintenant, car le temps presse, nous le savons bien.
Le premier cas concerne l’exemple, celui des parents évidemment. Adhérer au MCF ? Parfait. Mais il y a mieux encore ! S’inscrire et se rendre aux activités des cercles du mouvement (il y en a forcément un à côté de chez nous), collaborer à la revue Famille d’Abord en proposant une action concrète (un dossier, des thèmes, une rubrique, un reportage…), se rendre en famille au congrès annuel et/ou y aider d’une façon ou d’une autre (les jeunes filles qui font la vaisselle, celles qui maternent à la crèche, les séminaristes qui encadrent les jeunes, les sœurs qui choient les petites filles sont autant d’exemples de dévouement remarquable). Bref : s’investir, s’engager, s’offrir.
Considérons maintenant un enfant qui n’aurait jamais appris à se sacrifier un peu, qui n’aurait jamais été entraîné à faire passer ses aspirations et ses envies personnelles, si légitimes soient-elles, après le service d’autrui : quel homme, quel responsable, quel père ou quelle mère sera-t-il demain ? Croit-on que l’aptitude au renoncement procède du miracle ou de la génération spontanée ? Quelle erreur d’appréciation : c’est un apprentissage de chaque instant, bien au contraire, qui conditionne seul l’engagement futur et la capacité à le produire. Imaginons cet enfant, fille ou garçon, qui a bénéficié du dévouement de ses aînés dans le milieu du scoutisme : d’abord louveteau ou louvette, puis scout, guide, routier ou guide-aînée. Et il ne s’engagera pas comme chef le moment venu ? Sans rougir ? Donnant à son tour un peu de son temps et de ses vacances estivales pour les plus jeunes ? Mais comment n’est-ce pas un réflexe courant ? Comment cette nécessité de justice ne lui apparaît-elle pas comme indispensable, vitale ? Et encore une fois tellement importante pour son avenir.
Il ne s’agit donc pas, tout le monde l’aura compris, d’accomplir nécessairement de grands engagements publics : à chacun selon ses dispositions. Mais seulement de poser des actes du quotidien, des actes simples, concrets : s’y contraindre suffit au service d’une cause immense qui les dépasse. Car ils la conditionnent en tant que tels. Il ne s’agit pas non plus, c’est évident aussi, de concepts théoriques fumeux ou abstraits : la réalité concrète est à notre porte, à portée de main.
Il n’y a plus qu’à vouloir.
Ainsi, apprendre progressivement à nos enfants à s’engager, à se dépasser pour atteindre des hauteurs en dehors desquelles ils ne seront que des numéros parmi tant d’autres, anonymes, fades, égoïstes et impropres à la transmission : voilà une éducation bien comprise et bien menée. Un objectif enthousiasmant, pour nous parents, dans l’optique de voir cette belle devise reprendre un peu de couleurs : Gesta Dei per Francos, l’action de Dieu par les Francs1.
S’engager au service de Dieu, de notre civilisation catholique, de notre pays, la fille aînée de l’Eglise, de nos familles et de nos enfants : un beau programme d’avenir. Le vrai et nécessaire ciment de la reconstruction.
Suite : Le plus grand engagement
1. Formule de Guibert de Nogent, à propos du rôle joué par nos ancêtres dans la première croisade.