Les motifs d'un déclin
A la lumière de ce qui précède, on peut alors dégager sans trop de difficulté les raisons qui expliquent qu’aujourd’hui, à l’ère du zapping généralisé, nos contemporains ont de plus en plus de mal à s’engager.
Puisque l’engagement est le fruit de l’amour et qu’il consiste dans le don de soi, il n’existe pas sans sacrifice ; si aujourd’hui les gens ne savent pas s’engager, c’est qu’ils ne savent pas aimer et qu’ils ne savent pas se sacrifier. La meilleure preuve de cela, c’est l’opposition qui est généralement établie entre amour et sacrifice : on voudrait que ces termes s’excluent, alors qu’ils s’attirent et ne se comprennent pas l’un sans l’autre. Pas d’amour sans sacrifice, pas de sacrifice sans amour.
Nos contemporains ne savent plus aimer : on ne trouve plus trace d’admiration vraie chez eux, plus d’enthousiasme. On cherche en vain la véritable admiration, sinon celle de soi-même, et de ses prétendues qualités ou performances. On ne trouve plus vraiment de capacité à estimer quelque chose ou quelqu’un comme supérieur à soi : le bien particulier est recherché comme un rival du bien commun (c’est la tentation du personnalisme) ; quant aux personnes, elles sont considérées à notre service et leur bien passe après le nôtre. On ne voit plus d’enthousiasme non plus car rien n’intéresse autant que soi-même et ce qui peut distraire, un moment, l’ennui du quotidien. C’est le règne de l’existence selfie.
Ils savent encore moins se sacrifier et cela va de pair avec ce qui vient d’être dit. Ils ne savent pas se sacrifier parce qu’ils ne savent pas aimer, et aussi parce que les notions de générosité et d’effort leur sont étrangères. Dans une société de consommation où chacun obtient tout ce qu’il veut toujours plus vite et où tout favorise l’égoïsme et le confort absolus, comment les mots d’effort et de don de soi revêtiraient-ils encore quelque signification ?
Et pourtant, l’homme ne peut pas vivre sans engagement car il est face à lui-même comme devant un néant. Au fond de lui, l’homme éprouve le besoin de vivre pour quelque chose qui le dépasse, qui le transcende, qui lui soit supérieur. Quoi qu’il en pense, son bonheur ne se trouve pas en lui : il a besoin d’aimer quelque chose plus que lui-même, de s’élever au-dessus de lui-même. Qu’il le veuille ou non, l’homme est fait pour Dieu, et ce n’est que dans la charité, dans le don total de soi fait par amour à ce Dieu qui l’a aimé le premier, qu’il trouvera son bonheur. Mais les échos pratiques de cette vérité semblent parfois bien absents...
Serions-nous engagés dans une impasse ?
Suite : Les pistes de reconquête