Témoignage anonyme
J’ai poussé les portes de la pension avec tout l’enthousiasme de mes onze ans. La crainte, aussi, de cet environnement impressionnant, martial, masculin, fait de contacts rudes autant que chaleureux. Je n’y mesurais pas vraiment encore la grâce qui m’était donnée d’étudier dans un milieu catholique, sain, où la messe était centrale et où les prêtres prenaient soin quotidiennement de mon âme et de celles de mes camarades. Mais j’avais reçu de mes parents une éducation traditionnelle profondément religieuse et j’étais convaincu qu’ici je serais bien. Et ce fut le cas, très largement, durant mes sept années de collège, puis de lycée.
J’y ai acquis, patiemment, durablement, des valeurs de camaraderie, de piété, d’abnégation, d’engagement… Oh bien sûr, comme tous les enfants, je rechignais souvent à l’effort, pensais plus à m’amuser qu’à préparer mon avenir, je trichais parfois ou « séchais » par moments (et par imitation) la messe de semaine ou la prière du soir. Cependant, l’ambiance générale et la générosité des religieux qui nous encadraient me portaient et me montraient de manière évidente le droit chemin vers le salut. Pour rien au monde je n’aurais manqué ma messe du dimanche et mes confessions hebdomadaires me voyaient ressortir plus déterminé que jamais à devenir le saint que je voulais être malgré tout.
Un enfant normal, ni meilleur ni pire.
Et pourtant…
Un jour, alors que je parlais en récréation avec un bon camarade de ma classe de 6e, ce dernier, gouailleur, m’a appris avec des mots crus que les bébés ne venaient pas tout seuls et que pour cela, un acte charnel devait être posé par les parents. Les idées se bousculèrent alors dans ma tête : jamais on ne m’avait parlé de cela ! Si la pudeur me commandait de cacher mes organes sexuels et que jamais mes parents n’avaient abordé ce sujet, c’est que c’était forcément mal, au moins honteux. N’y avait-il pas deux commandements de Dieu qui défendaient l’impureté ? La curiosité naturelle de mon âge m’a poussé à en savoir plus. Mais comme il était entendu que l’ombre du péché couvrait ce mystère, j’ai cherché seul. De dictionnaires illustrés en imagination débordante, j’ai bien fini par tout découvrir. Tout. Sans savoir où était le mal, ni le bien. Encore moins le bien. Je sentais, dans mon corps d’adolescent qui grandissait, une attirance pour ce que représentait le corps de la femme, mais comme je rangeais ce désir dans le même tiroir que les péchés s’y rattachant, cela m’a entraîné de Charybde en Scylla.
Un coup d’œil dans un kiosque à journaux m’a fait ouvrir une fois, puis deux, un magazine pornographique. J’ai découvert la masturbation. Désespéré à chaque fois que je chutais, je me précipitais vers le confessionnal et jurais de n’y jamais retourner. Mais j’y retournais. Puis il y a eu l’Internet, une fois, puis deux, puis… Ma vie ne se résumait pas à cela, bien sûr et j’ai grandi extérieurement sans que cela ne se voie. Je me confessais régulièrement, récitais mes prières du matin, du soir, mon chapelet, assistais à des retraites de saint Ignace avec assiduité... Je ne me rendais toutefois pas compte que ma ferveur diminuait, que ma propre estime pour moi-même rapetissait imperceptiblement ; j’avais une crainte grandissante de me faire découvrir tel que j’étais et ma honte croissait autant que ma confiance en moi s’évanouissait.
La fin de la pension arriva, mais pas celle du calvaire. Il y eut les études, puis le monde professionnel, le rouleau compresseur avançait toujours. Le rythme était bien pris : je chutais, me maudissais, allais me confesser, résistais un temps, puis rechutais.
Un beau jour, je me suis fiancé. J’étais d’autant plus heureux de ce changement qu’il allait forcément amener la fin de ce vice. En effet, le plaisir solitaire n’aurait bien sûr plus aucune raison d’être aux côtés des joies charnelles du mariage. Et j’ai tenu bon en effet un peu plus longtemps. Mais le mariage passé, j’ai fini par recommencer. Les années passèrent, les enfants arrivèrent, rien n’y fit. De plus en plus, je perdais confiance en moi. Mon travail ne m’intéressait plus. J’étais fréquemment irritable, pessimiste, renfermé ; j’en souffrais et faisais souffrir ma famille. Comment cela allait-il finir ?
Par bonheur, et sans doute grâce au chapelet que je n’ai jamais abandonné durant ces années, j’ai fini par m’en ouvrir, désespéré, à mon épouse. L’humiliation ressentie fut à la hauteur de sa douleur mais après ce choc salutaire nous avons mis en place des moyens de lutte qui ont porté des fruits.
La première étape (et non des moindres) fut notamment de m’accepter comme « addict ». Au bout de plusieurs années, maintenant que je regarde le chemin parcouru, je ne me considère et ne dois pas me considérer comme « guéri » mais l’horizon s’est dégagé, la force et la confiance sont revenues. Des blessures restent toutefois et je songe avec effarement à cette situation qui était la mienne (et de combien d’autres ?) malgré l’avalanche de grâces reçues depuis ma naissance.
Suite : Eloge de la pureté