Jérôme Lejeune et les défis de la bioéthique au XXIe siècle
Pour la deuxième année consécutive, la chaire de bioéthique internationale Jérôme Lejeune a organisé, lors du week-end de Pentecôte, son congrès annuel sur le thème « Jérôme Lejeune et les défis de la bioéthique au XXIe siècle. »
Il fait un temps splendide à Rome ce vendredi matin 17 mai lorsque, longeant la place Saint-Pierre de Rome baignée d’une douce lumière, nous pénétrons dans l’Augustinium, palais des congrès placé sous le patronage de saint Augustin. Accueillis par Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune et le professeur Monica Lopez Barahoma, présidente de la chaire internationale de bioéthique Jérôme Lejeune, les nombreux participants se pressent pour récupérer badge, programme et casque audio pour la traduction. Ils sont près de 400, dont beaucoup de jeunes Français et Espagnols, à être venus du monde entier, écouter une trentaine d’intervenants, médecins, professeurs, scientifiques, mais aussi parents faire le point des enjeux de bioéthique, témoigner de leur expérience et approfondir la pensée du professeur Jérôme Lejeune, déclaré Vénérable en 2021. L’organisation est impeccable et chaleureuse, la traduction simultanée en quatre langues permet à chacun de suivre le fil des exposés, de haut niveau, dans sa langue maternelle ou à défaut en anglais.
En introduction, Jean-Marie Le Méné souligne « le besoin de se ressourcer quand tout va mal » car effectivement tout va mal. Citant mère Térésa, le pape Jean-Paul II, Soljenitsyne et sa célèbre conférence, prononcée à Harvard, sur le déclin du courage, le président de la Fondation Lejeune invite les participants à « ne pas être un point de passage du mensonge » et rappelle comment en 1961, Jérôme Lejeune, ce « messager de la vérité » dans une conférence réunissant la communauté scientifique à San Francisco, avait mis ses confrères devant leurs responsabilités : « To kill or not to kill », tout se résume à ce choix.
Depuis les années 60, le courant eugéniste ne cesse de se déployer sous couvert de compassion et de progrès. La découverte de la trisomie 21 et l’amniocentèse ont conduit au dépistage prénatal et à l’avortement des bébés handicapés et plus largement des bébés “non conformes”. À la logique “connaître pour soigner” s’est substituée celle “connaître pour sélectionner”, oubliant ainsi ce que disait le père de la génétique moderne : « La médecine n’est pas l’apanage des riches et des bien portants mais celui des pauvres et des malades ».
Reniant son serment d’Hippocrate, le médecin est devenu la “servante de la mort” évacuant la question « qu’est-ce que l’homme ? » pour se disputer sur « quand commence t-il ? ». Soixante ans plus tard, cela donne l’euthanasie qui est inscrite dans la plupart des législations. Nous écoutons à ce sujet le témoignage bouleversant des parents d’Indy Gregory (enregistrement video), bébé de 8 mois atteint d’une maladie incurable. Elle est morte en Grande-Bretagne en 2023, à la suite d’une décision de justice d’arrêter les soins qui la maintenaient en vie. Ne pas abandonner, ne pas s’acharner, soulager la douleur grâce aux soins palliatifs, telle est la difficile ligne de crête que doivent suivre les familles et le personnel médical face à des cas difficiles comme la naissance de bébés grands prématurés ou des personnes atteintes de maladies incurables.
Au cours de ces deux journées, les principales dérives bioéthiques - manipulations génétiques, eugénisme, procréation assistée, gestation pour autrui, vente de gamètes, euthanasie, dysphorie de genre avec opération chirurgicale y compris sur des mineurs, etc. - sont analysées dans leurs conséquences physiologiques, psychologiques et civilisationnelles. Les dégâts sont colossaux, irréversibles mais dissimulés au grand public et, sous couvert de compassion et de dignité, servent en réalité une même philosophie basée sur la convergence de l’individualisme-roi, la science et la loi du marché. Comme le dit Jean-Marie Le Méné : « L’espace entre le bien et le mal n’existe plus » et nous prenons « le train des destinations inconnues et menaçantes. » Un train que rien ne semble devoir arrêter ! Jérôme Lejeune l’avait en quelque sorte anticipé : « Si une mère peut tuer son propre enfant dans son propre sein, qui peut nous empêcher de nous tuer les uns les autres ? ».
Devant ces perspectives redoutables, la lumineuse pensée, le courage, l’humilité et le travail remarquable du professeur Jérôme Lejeune ont été constamment rappelés, notamment par Aude Dugast et Clotilde Mircher car, même si la « reconstruction transhumaniste de la société semble aller plus vite que la restauration des valeurs humaines » (Jean-Marie Le Méné), il importe de ne pas céder au découragement. « Médecin par vocation et chercheur par nécessité » : tel a été le parcours du professeur Jérôme Lejeune qui jusqu’à la fin restera très attentif à chacun de ses patients et à leur famille faisant sienne cette maxime : « La médecine n’est pas l’art du bonheur mais l’art de protéger la vie » et qui aura réussi à sortir le “mongolisme” de la fatalité et des interprétations fausses et dévalorisantes.
Soigner et chercher : c’est la feuille de route de l’Institut Lejeune qui suit les patients atteints de maladie génétique en France mais aussi en Espagne et en Argentine. Il faut saluer et soutenir le travail exceptionnel réalisé par les médecins et leurs équipes - travail qui va souvent bien au-delà du simple suivi médical et prend la forme d’un véritable accompagnement des familles, notamment en Amérique du Sud où bon nombre d’entre elles viennent de milieux déshérités.
Il serait fastidieux de retracer l’ensemble des interventions dont le caractère souvent très technique peut être rébarbatif. Nous nous contenterons donc de mentionner l’exposé très émouvant du professeur Momotami qui a rappelé comment, dans la mythologie japonaise, la déesse Izanami, mariée au dieu Izanagi, donne naissance à un bébé handicapé, Hiruko et l’abandonne dans un panier en osier sur la mer. Hiruko est alors recueilli par des pêcheurs qui, le considérant comme une divinité, le baptisent Ebisu, ce qui signifie « celui qui vient de loin ».
Cette tradition de respect des enfants handicapés est aujourd’hui abandonnée dans la société japonaise. Rappelant le rôle funeste de l’Unité 731 pendant la Seconde Guerre mondiale, véritable laboratoire de mise au point d’armes biologiques dont les victimes étaient appelées Maruta ce qui signifie bûche, le professeur Momotani a décrit la « stratégie du stress » mise en œuvre par le gouvernement japonais et les médias à l’encontre des femmes enceintes pour les inciter à effectuer des tests prénataux et à avorter. Le professeur Momotani a conclu son exposé en soulignant le « rôle de première importance » des catholiques et en citant en exemple August Graf von Galen, évêque allemand, surnommé le « Lion de Munster » qui, parmi les premiers, s’opposa à l’idéologie nazie et en particulier à l’euthanasie. Son intervention vigoureuse mit fin en 1941, au programme Aktion T4 du régime hitlérien, véritable campagne d’extermination des personnes handicapées physiques et mentales.
Chers lecteurs, le combat de la Fondation Jérôme Lejeune dépasse de loin la question du handicap et des maladies génétiques. C’est un combat pour la défense de la civilisation chrétienne qui nous concerne directement et qui mérite tout notre soutien.
