La société où règne Dieu est la meilleure des sociétés : argument rationnel

La question du « pour qui ? » ne se posant plus, passons au « pourquoi », et tout d’abord, au « pourquoi » rationnel. Les paragraphes suivants sont adaptés d’un remarquable travail de synthèse, effectué par Grégoire Belmont, pour un atelier consacré à la question du bien commun au cours d’une université d’été de la FSSPX.

orchestra commissionComme le disent Aristote et saint Thomas d’Aquin, l’homme est un « animal politique ». Vivre en communauté lui est nécessaire pour vivre : l’existence, la nourriture, le toit, le vêtement lui sont d’abord donnés gratuitement par ses parents. Sans la communauté qu’ils forment, sa vie serait impossible. Surtout, la Cité, la société politique, est le lieu du bien vivre : elle met à sa disposition un ensemble de biens matériels dont il pourra jouir, ou qu’il pourra acquérir par la propriété. Elle lui prodigue aussi un ensemble de connaissances morales, intellectuelles, scientifiques et artistiques qui lui permettront d’apprendre à raisonner, à exercer un métier, à utiliser sa raison et son corps de la meilleure des manières. Sans l’héritage du passé, l’homme ne pourrait rien apprendre. L’homme naît donc dépendant et débiteur de la société, et non créancier. L’ensemble des biens que l’Etat met à sa disposition peut être appelé le bien commun : ce bien commun contribue au bien propre de chacun, sans se confondre avec aucun d’eux : il les transcende tous. Et chacun développe son bien propre par amour du bien commun, de l’ordre social, de la paix. Le bien commun d’une armée est la victoire, qu’aucun ne pourrait remporter seul ; celui d’un orchestre est la symphonie, qu’aucun ne pourrait jouer seul ; mais chacun, en jouant sa partie du mieux qu’il peut, et en accomplissant ainsi son bien propre de soldat ou de musicien, contribue au bien commun. Le père Lachance, dans L’Humanisme politique de saint Thomas, précise : « La perfection de la partie n’est réalisée que dans son ordonnancement à la perfection du tout. En tant que partie, on n’atteint la perfection qu’en collaborant à l’ordre du tout. »

Saint Thomas développe cette idée en démontrant que le bien commun nous unit, et que les biens particuliers nous divisent. Dieu le Pre ste MMadeleine ste Cath de Sienne 1509 Fra Bartolomeo RD’après lui, il existe quatre sortes de biens communs :

  1. Les biens matériels : prospérité et richesses, qui profitent à tous indirectement.
  2. Les biens du corps : restaurants, clubs sportifs, hôpitaux, etc.
  3. Les biens moraux : on ne peut les définir qu’en faisant référence aux vertus morales, qui ont pour but d’établir la paix et l’ordre dans notre âme, pour la préparer à la contemplation de Dieu. Au niveau social, les vertus publiques auront pour objectif de préparer la paix, qui prépare l’unité (l’unité est le plus grand des biens communs selon saint Thomas). Ces vertus publiques peuvent être : la préservation de la morale publique, la justice etc., qui permettent d’obtenir la paix. Cette paix que l’on obtient est, pour saint Augustin, « la tranquillité de l’ordre ». Pour saint Thomas, c’est « l’harmonie du silence », prélude à la contemplation.
  4. Les biens intellectuels : parmi les créatures corporelles, l’homme, ayant pour apanage une âme intellectuelle, se distingue par l’usage de l’intelligence, sa faculté suprême. Celle-ci lui permet de conceptualiser, puis, par identification, d’effectuer des jugements, et donc de connaître la vérité. Parmi ces biens intellectuels, parmi ces vérités, le plus grand est assurément celui qui peut remplir notre cœur et notre intelligence à satiété, et que l’on peut partager à l’infini. Ce bien, cette vérité, Aristote l’appelait la cause première : celle qui explique tout le reste et dont découle tout le reste. Saint Thomas précise que ce bien est la cause des causes, Dieu. Dieu, en tant que bien commun suprême, nous est ainsi décrit par saint Augustin : « La Vérité est commune à tous. Elle n’est ni à moi ni à toi ; elle n’est pas à celui-ci ou à celui-là : elle est commune à tous. » (sur le psaume 75). Et ailleurs : « Le mieux, pour créer et protéger une cité, c’est le fondement et le lien de la foi et d’une solide concorde, quand on aime le bien commun, le bien suprême et le plus vrai, c’est-à-dire Dieu, et qu’en Lui les hommes s’aiment les uns les autres très sincèrement, car ils s’aiment à cause de Celui à qui ils ne peuvent pas cacher dans quel esprit ils aiment. » (La Cité de Dieu)

Il en résulte que Dieu est le bien commun par excellence, infiniment communicable. Sa contemplation nous modifie de l’intérieur, et donne à la société humaine sa plus belle finalité : rendre l’homme meilleur, et soutenir sa faiblesse individuelle par la sainteté collective. Comme le dit si bien saint Augustin, cet amour commun pour Dieu est facteur de charité, et de concorde. Et s’il est vrai que, selon Aristote, l’amitié est une communication de vertu, et se nourrit donc d’un amour commun pour une valeur transcendante, cet amour commun pour Dieu est source d’amitié politique. Or, comme le dit le père Lachance, « L’amitié est la fin de l’effort de l’homme vivant en société. Elle symbolise la charité et lui sert d’amorce. Elle crée l’harmonie et l’unité du corps social. La justice, qui est comme le nerf de toute vertu, intègre l’individu dans le tout ; l’amitié corrige ce qu’elle a de trop raide, de trop mécanique. L’une et l’autre souhaitent rendre l’existence bonne, humaine, heureuse, délectable. Les deux veulent fondre nos vies en unité féconde, faite de fermeté et de souplesse ; les deux rêvent de nous faire communier personnellement et à satiété aux valeurs matérielles et spirituelles contenues en l’idéal humain » (L’Humanisme politique de saint Thomas). En résumé, comme le dit saint Paul : grâce à l’intégration de Dieu dans le corps social, il sera possible de « conserver l’unité de l’esprit, par le lien de la paix » (Epître aux Ephésiens). C’est alors que la société devient pleinement naturelle : elle est composée de liens de vie tissés entre les individus, et que l’Etat ne fait qu’organiser. Les institutions sont la cristallisation de la vie entre les hommes. La société se donne donc une direction, une sagesse, une contemplation commune dans le Christ. Cette Sagesse est civilisatrice, littéralement, elle « constitue la Cité ». Le père Lachance définit ainsi la civilisation : « Elle est l’intégration à la Sagesse universelle du dynamisme de la vie d’un peuple » (L’Humanisme politique de saint Thomas). Ou, comme disait Baudelaire dans son journal intime : « La civilisation ne réside pas dans les tables tournantes, ou la machine à vapeur. La civilisation réside dans l’effacement progressif des traces du péché originel. »

Suite : Nécessité rationnelle d'une politique intégrant Dieu