La littérature, miroir de notre condition humaine - Conversation entre un prêtre et un écrivain catholique, Michael O’Brien
Michael O’Brien, vous êtes canadien, et avez écrit de nombreux romans traduits en français aujourd’hui. Les lecteurs de Famille d’abord seraient heureux de mieux vous connaître. En effet, ceux qui ont lu vos livres ont été édifiés par certains héros de vos histoires qui s’élèvent grâce à la souffrance et aux épreuves. C’est le cas par exemple de Josip Lasta dans Une île au cœur du monde.
M.O.B. : S’il y a quelque chose que nous montre Notre-Seigneur au sujet du rôle de la Croix dans nos vies, de l’union de nos souffrances aux siennes, c’est ceci : même les coups les plus durs de la souffrance peuvent être retournés en fécondité. Et assurément, cela peut même amener un grand bien si nous y accordons assez de temps et si nous ne perdons pas courage.
Dans mes histoires je m’efforce de révéler la main de la Providence divine à l’œuvre, même quand nous ne la voyons pas… J’ai écrit, à travers mes ouvrages, des centaines de milliers de mots mais je pense que tout pourrait être résumé en cette vérité : Dieu est notre Père et Il nous aime. Il ne promet à aucun de nous une petite vie confortable mais une vie de vraie grandeur, à condition que nous sachions, si nous savons lever les yeux vers Lui, Le laisser prendre notre main dans la Sienne.
Comment pouvons-nous prendre conscience de la réalité de la Providence de Dieu à l’œuvre dans nos vies ? Ce lent processus est bien illustré par l’histoire d’Alexander Graham dans L’Odyssée du père. Hélas, nous tombons trop souvent dans le découragement.
M.O.B. : Ne sommes-nous pas petits et faibles ? Si, assurément. Cependant notre faiblesse même est le point d’entrée par lequel Sa grâce se déversera, si nous le Lui permettons, si nous acceptons d’être de petits enfants qui s’agrippent à la main de notre Sauveur et se reposent sur Son Cœur. Alors nos propres cœurs seront ouverts à Sa puissance de guérison afin qu’Il puisse transformer notre peur en une joie confiante.
Quand les choses vont bien pour nous, il n’est pas très difficile de demeurer fidèles à la foi. Mais quand la souffrance vient, comme nous sommes vite tentés de nous en détourner en cherchant nos propres solutions ! Cependant, où donc sinon dans les épreuves apprenons-nous à vaincre la terreur par le courage et la méfiance par la confiance ? C’est souvent à partir du moment où les ressources humaines nous font défaut et où l’espoir semble perdu que nous arrivons dans un endroit mystérieux du cœur où l’on pourra trouver les sources jaillissantes de la vie. Là, nous devenons capables de voir l’état de la source. Est-elle asséchée ? Si oui, il nous faut creuser plus profond. Est-elle obstruée par des décombres ? Si oui, nous devons la nettoyer pour que les eaux puissent recommencer à couler.
Oui mais il faut aller au fond de notre cœur pour y trouver la source de la vie divine. Cette source, cachée au centre de l’âme où demeure Dieu, est difficile à atteindre. Dans nos épreuves, nous désirons souvent rencontrer le regard de notre Père et entendre Sa voix, mais nous avons souvent l’impression qu’Il reste hélas silencieux.
M.O.B. : À mesure que je vieillis, je me rends compte que malgré ce «silence» apparent, Dieu est très présent à notre âme mais en profondeur. Nous ne l’entendons pas nous parler parce que nous sommes sourds. Uniquement avec la paix du cœur pouvons-nous apprendre à l’écouter – et ensuite comprendre peu à peu qu’Il nous aime infiniment au-delà de toute mesure. Dans notre monde contemporain rempli de bruit et ivre de vitesse, il est difficile pour nous de comprendre ce langage de l’âme et pourtant Dieu est toujours prêt à nous aider, si nous correspondons à Sa grâce et recherchons Sa volonté de tout notre cœur.
Vous avez-vous-même traversé de lourdes épreuves en tant que père de famille. Vous avez connu la pauvreté, l’humiliation, la maladie. Il vous a fallu attendre vingt ans pour que votre premier roman soit publié. Il y a aussi les attaques du monde moderne contre la famille traditionnelle. Vous avez dû être tenté par le découragement et le manque de confiance en Dieu.
MOB : Oui, élever mes six enfants dans la foi catholique a été très difficile, à cause de la culture environnante hostile à notre foi. Notre culture familiale a été centrée sur l’art, la littérature et la musique, sans oublier les jeux, la joie et le rire… Nous avions une bonne vie paroissiale et une vie de prière régulière à la maison, ainsi qu’un cercle d’amis vivant de la même façon. Ceci a été d’un grand secours. Avec six enfants et un revenu minimal comme artiste chrétien, notre façon de vivre a été difficile, comportant des sacrifices sans nombre. Mais maintenant, après toutes ces années, les bons fruits sont visibles. C’est émouvant pour ma femme et moi de voir nos enfants mariés faisant l’école à la maison à nos douze petits-enfants, centrant leur vie familiale autour de la Foi et de la culture chrétienne.
Dans votre dernier roman L’Année sabbatique, un des personnages principaux est Ion, un jeune garçon roumain. Il semble représenter votre espoir pour le futur. Le personnage d’Ion a-t-il été inspiré par une personne réelle que vous avez rencontrée ?
M.O.B. : En partie. Je vois en Iui mes propre petits-fils, ainsi que les nombreux vaillants jeunes gens que le Seigneur suscite en notre temps. Ion représente les jeunes hommes et jeunes femmes partout dans le monde, que la grâce et la nature, après les sacrifices sans nombre de leurs parents, font se lever comme des lumières pour le futur. Comme dit le vieux prêtre, dans le roman, en parlant d’Ion : «Éduquez le bien et priez pour lui.»
Vous venez d’évoquer le futur. Six de vos romans font partie d’une série appelée Les Enfants des derniers jours. Votre premier roman publié a été Père Elijah, une apocalypse. Le Journal de la peste montre Nathaniel Delaney essayant de protéger ses enfants du totalitarisme athée qui engloutit son pays. Pensez-vous que nous approchons des «derniers temps» ?
M.O.B. : Je pense que oui, même si je serais heureux de me tromper à ce sujet. Il y a autour de nous des signes apocalyptiques… Nous savons qu’à un point de l’Histoire il y aura une génération qui sera mise à l’épreuve de façon radicale et qu’il y aura une persécution de tous ceux qui suivent Jésus. La génération qui est la moins éveillée, qui s’est endormie dans le sommeil du péché et de l’erreur et qui a été abrutie par le plaisir et la tromperie, sera celle que l’Antéchrist dominera. Mon objectif en écrivant mes romans est de poser à ma génération la question : «Sommes-nous spirituellement préparés à cette épreuve, si notre temps est celui prédit par les prophètes et par Jésus Lui-même ?»
Vous avez cité le pape saint Pie X qui parla du «Fils de perdition» dans son encyclique sur la restauration de toutes choses dans le Christ. Vous l’avez aussi cité dans son discours pour la béatification de sainte Jeanne d’Arc : «De nos jours plus que jamais, la force principale des mauvais c’est la lâcheté et la faiblesse des bons, et tout le nerf du règne de Satan réside dans la mollesse des chrétiens». Ces paroles du pape sont un rappel à notre vocation à la sainteté. Même dans la Tradition, nous nous laissons aller à l’esprit du monde, à la tiédeur et aux compromissions.
M.O.B. : Nous recevons les grâces nécessaires pour notre mission en offrant nos épreuves en union à la Croix, pour la purification et le renouvellement de l’Église… Vivons-nous nos vies comme si le Seigneur était vraiment avec nous ? Dans mon propre examen de conscience continu, je vois de plus en plus ces zones où j’échoue à résister à l’esprit du monde. Je me demande en moi-même où j’ai manqué de grandir en courage. Où ai-je fait mes compromis ? Même si je me considère comme un bon catholique, luttant pour rester en état de grâce, assistant à la messe quotidienne et offrant beaucoup de prières, au fond de mon cœur suis-je désireux de tout donner pour Jésus ?
Pensez-vous que la Sainte Vierge a un grand rôle à jouer dans la période troublée que nous vivons ?
M.O.B. : Nous prions le chapelet chaque jour dans notre famille. Je crois fermement au rôle unique de la Mère de Dieu dans ces temps. Comme Mère de l’Église, comme la nouvelle Ève, elle a un rôle unique dans la défaite de l’ennemi, dans la mise au jour de sa malice et de ses tromperies et à la fin elle lui écrasera la tête.
Merci, Michael O’Brien.
Tous les romans de Michael O’Brien sont disponibles aux éditions Salvator et sont destinés aux adultes.