Face au traumatisme… la résilience
Ce n’est pas toujours simple de surmonter les épreuves mais se relever après un traumatisme s’avère encore plus délicat. Ayant longtemps travaillé sur les traumatismes de guerre et la résilience, il m’a semblé intéressant, dans le cadre de ce dossier, de réfléchir aux enseignements pour nos familles.
En dépit d’une solidité apparente, nous pouvons être victime d’événements traumatiques venant, malgré nous, s’inscrire de manière indélébile au fond de notre personnalité. Comme notre nature déchue s’avère fragile, il est parfois difficile de dépasser de telles blessures. La notion de résilience et les qualités fondamentales qui s’y rattachent peuvent nous aider à rebondir dans la vie.
Une blessure qui peut nous toucher
Bien plus puissant que l’épreuve, le traumatisme appelle une reconstruction en profondeur. Sans en avoir conscience, un traumatisme a pu naître. Confronté de façon violente à l’horreur, à ce qui est humainement à la fois indicible et inacceptable, nous pouvons développer au fond de notre être une fragilité durable appelé traumatisme. Ce n’est ni courant, ni anodin et repose généralement sur une confrontation réelle ou virtuelle avec la mort ou sur une atteinte à l’intégrité de notre être. Un témoin ou une victime d’un accident a pu se voir mourir, un enfant qui voit partir un être cher, souffre et s’interroge au plus profond de lui-même…
Les soldats le savent bien… Effectivement la guerre ne détruit pas seulement les corps, elle s’attaque aussi insidieusement aux esprits. La confrontation avec l’horreur n’est pas neutre, elle provoque parfois de véritables blessures invisibles. Même les soldats les plus aguerris y sont vulnérables. Ils peuvent revenir profondément meurtris dans leur âme.
Quand nous parlons de blessure, le terme n’est pas usurpé. D’ailleurs les chercheurs ont mis en évidence des dégradations de certaines zones du cerveau par suite d’un traumatisme. La mort pénètre par effraction l’esprit et vient loger de façon indélébile une image, un bruit, une sensation, une odeur que la victime ne maîtrise plus.
Les victimes d’attentats, de catastrophes naturelles sont susceptibles de développer le même syndrome. Les enfants sont aussi vulnérables à des traumatismes qui meurtrissent leur être en profondeur sans rien laisser paraître : agressions subies, séparation des parents…
Un phénomène ancien aux conséquences durables
Ce phénomène n’est pas nouveau, Homère dans L’Iliade évoque déjà les conséquences de l’effroi face à la mort. Après la Grande Guerre, dans les années vingt, plus de 200 000 soldats étaient encore soignés dans des hôpitaux psychiatriques.
Effectivement, ce traumatisme reste enfoui longtemps dans notre esprit, parfois sans même que nous en ayons conscience. L’exemple de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus est parlant : à la mort de sa mère, à 4 ans et demi, son caractère exubérant disparaît subitement, elle se définira alors «pleureuse à l’excès» et ce n’est qu’à 14 ans qu’elle retrouve, un soir de Noël, la force d’âme qui ne la quittera plus.
Une approche intéressante : la résilience
Le mot peut surprendre ; certains y verront une invention moderne un peu fumeuse. Pourtant le terme est ancien ; il vient du latin resilio, rebondir. Au XIXe siècle, utilisé en mécanique il caractérise les métaux conservant leurs qualités intrinsèques en dépit d’une déformation ou d’un choc majeur.
C’est le neuropsychiatre Boris Cyrulnik1 qui introduit ce concept en France. Lors de ses travaux d’accompagnement des orphelins roumains, il essaye de comprendre pourquoi, confrontés à des traumatismes similaires, certains trouvent la force de rebondir alors que d’autres, moralement brisés, se contentent de subir. Par la suite, nous retrouverons la résilience au niveau de la Nation dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (2008). Depuis, beaucoup se réfèrent à cette notion rarement employée à bon escient mais en vogue depuis la crise Covid.
Des fondamentaux acquis en amont pour mieux rebondir
En effet, la résilience n’est pas la capacité de résister à un choc, ni celle de gérer habilement une crise. Elle consiste plutôt en une aptitude à se réinventer et à repartir après une destruction majeure en imaginant des dynamiques et des objectifs nouveaux.
Ce concept favorise donc le dépassement du traumatisme grâce à nos qualités intrinsèques. Cyrulnik met d’ailleurs bien en évidence le fait que les orphelins ayant connu dans leur famille d’origine un cadre structuré entouré d’affection, sont plus forts et mieux disposés pour rebondir dans la vie.
Ne pas occulter, être à l’écoute
Il faut être conscient de la réalité de cette blessure psychologique, heureusement peu fréquente. Un traumatisme peut avoir un impact destructeur pour la construction de nos enfants et même les poursuivre dans leur vie d’adulte.
Il est important d’être vigilant à tout changement brusque et pérenne de comportement ou de tempérament, ce peut être le signe d’une blessure cachée. Il faut surtout s’attacher à développer la communication avec nos enfants, en les amenant à exprimer leurs sentiments et en leur apprenant à gérer leurs émotions.
Les facteurs de résilience au prisme de l’armée
Par sa finalité même, confrontée à la mort et à la destruction, l’armée cultive depuis toujours les facteurs de résilience en s’appuyant sur les forces morales. Partant de son expérience, nous pouvons en tirer des enseignements pour nos familles.
Donner du sens
Surtout lorsque les événements semblent absurdes, donner du sens s’avère nécessaire. C’est d’abord au chef de répondre à ce besoin car, par ses décisions, il engage l’intégrité physique ou morale de ses hommes. Les politiques qui décident de l’engagement ont également leur part de responsabilité.
Le temps de la reconnaissance au retour du soldat apporte aussi sa part de sens et ouvre le temps de la résilience. Même si cela fait sourire les non-initiés, les armées ont codifié cette héroïsation : citations sur le front des troupes, remise de décorations, commémorations…
En donnant une signification, une justification à certains sacrifices, nous les rendons acceptables et nous en atténuons leur impact psychologique.
Le sens spirituel bien sûr mais pas que…
La foi est essentielle, facteur fondamental de résilience de par l’espérance surnaturelle qu’elle engendre. Cette force de la foi est d’ailleurs soulignée par de nombreux rescapés des camps de concentration comme un atout pour survivre dans l’horreur. Il est évident que la Croix de Notre-Seigneur nous rend plus forts pour traverser les épreuves et métamorphoser nos souffrances.
Cependant, il ne faut pas négliger la nature humaine. L’expérience de la petite Thérèse montre bien que les blessures enfouies ont aussi besoin de temps et de l’affection compréhensive de l’entourage pour guérir.
La confiance par-dessus tout
La confiance est le plus sûr moyen pour obtenir un soldat d’élite. Le soldat doit avoir confiance en ses capacités militaires d’abord, dans le groupe et les camarades ensuite, dans l’institution militaire et la cause que l’on sert enfin. Dès l’instruction initiale, tout est fait pour consolider les individus, forger un groupe soudé, développer le culte de la communauté. Au-delà de l’entraînement physique et technique exigeant, le développement de la confiance mutuelle favorise la solidité collective.
L’éducation à la résilience repose avant tout sur ces différents cercles de confiance : la confiance accordée aux enfants avec sa prise de risque inhérente, le développement de leur confiance en soi non par orgueil mais grâce à Dieu, la confiance dans la famille, dans les écoles, dans les prêtres, et au-delà dans l’avenir. Il faut surtout éviter de leur transmettre nos peurs, de diffuser notre stress.
La fraternité et l’amour mutuel
La fraternité d’armes, socle de la cohésion unissant un groupe militaire constitue sa meilleure protection. C’est aussi un excellent tremplin pour se reconstruire : les camarades de combat deviennent autant de «tuteurs» de résilience dans la mesure où la réalité des blessures invisibles est admise ; sinon cette cohésion peut tourner à la stigmatisation.
Une vie de famille animée par l’amour constitue aussi un don inestimable. Il s’agit de l’amour donné aux enfants bien sûr, mais également de l’amour unissant les parents. Au-delà de l’amour vécu, l’important est l’amour perçu par les enfants, d’où l’intérêt des témoignages d’affection.
L’humour permet de s’évader
L’humour est un artifice efficace pour se libérer des contraintes et parfois sublimer la vie présente. C’est le message véhiculé dans le film sur les camps de concentration La Vie est belle de Roberto Benigni. Le père déporté avec son fils fait vivre la déportation sous les apparences d’un immense grand jeu pour en dépasser l’horreur.
Le rire est effectivement la meilleure thérapie face au traumatisme. Ce culte de l’humour a été ritualisé dans les armées, notamment avec les popotes des lieutenants, à l’ambiance débridée, quelque fois un peu trop il est vrai. Il n’en reste pas moins que nous avons là une forme de catharsis propre à soulager les esprits.
Dans nos familles, à la place des divertissements artificiels basés sur les écrans qui emportent nos enfants dans le virtuel et l’individualisme, les isolant du monde extérieur, cherchons plutôt la joie véritable en consacrant du temps aux jeux de société, à raconter des histoires, à rire avec eux.
L’art et la culture
Des Américains revenant des camps de prisonniers japonais en 1945, témoignaient de la résilience manifeste de ceux qui se réfugiaient dans la poésie en déclamant des vers. Dans son récit La Rivière et son secret, Xiao-Mei montre comment, en camp de rééducation pendant la révolution culturelle chinoise, elle se réfugie dans la musique de Bach.
L’art et la culture constituent ainsi des atouts non négligeables pour passer à travers les épreuves. En éveillant nos enfants à ce qui est grand et beau, nous les armons incontestablement de la plus belle manière pour affronter la vie.
La joie de l’âme est dans l’action2
Curieusement dans les conflits, on constate que l’arrière est souvent plus fragile psychologiquement que le front. C’est la signification du slogan des poilus dans l’enfer de Verdun : Pourvu que l’arrière tienne. De fait, l’homme dans l’action est moins vulnérable que le spectateur impuissant. Cela a pu encore se vérifier lors de l’attentat terroriste du Bataclan.
L’action est un formidable moteur ; associée au don de soi c’est un atout clé de résilience dans la mesure où elle permet de cicatriser le passé pour se tourner vers l’avenir. Une belle illustration se retrouve dans l’histoire de Christina Noble3, jeune fille irlandaise polytraumatisée qui se reconstruit en se consacrant aux enfants vietnamiens abandonnés.
Pour développer au mieux la joie de l’âme chez nos enfants, il faut par conséquent les aider à s’engager dans l’action. La responsabilisation domestique est une excellente chose mais à l’adolescence cela s’avère souvent insuffisant. Il faudra alors, pour donner corps à leur soif d’engagement, rechercher un cadre extérieur plus propice : scoutisme, maraudes, chantiers…
Pour conclure, si le traumatisme constitue une réalité difficile à appréhender, les qualités intrinsèques de résilience semblent intéressantes pour le dépasser. Effectivement, comme «la résilience c’est l’art de naviguer dans les torrents»4, toutes les familles sont concernées et les facteurs qu’elles sauront développer chez leurs enfants seront autant d’atouts dans les épreuves de leur existence.
Il faut cependant rester mesuré : même si le traumatisme semble aujourd’hui de plus en plus fréquent, il reste une exception. Si dans certains cas le recours à un spécialiste s’avère utile et parfois indispensable, évitons de tout psychologiser.
L’éducation repose avant tout sur l’équilibre. D’ailleurs, vous conviendrez que les enseignements que nous ressortons de nos réflexions sur la résilience ne sont finalement que du bon sens : l’écoute, la foi, l’amour, la confiance, l’art et le rire, comme le don de soi…
- Boris Cyrulnik, né en 1937, auteur de très nombreux ouvrages, a vulgarisé le concept de résilience à partir des années 1980.
- Devise du Maréchal Lyautey empruntée à Shakespeare.
- Christina Noble, née en 1944, a écrit plusieurs ouvrages et fondé une fondation en 1989 pour s’occuper des orphelins au Vietnam, un film sorti en 2014 raconte son histoire.
- Boris Cyrulnik