La psychologie de la volonté
Les idées n'ont que peu d'emprise sur notre volonté
Prenons l’exemple d’un homme qui paresse au lit : son intelligence fonctionne. Il sait qu’il a un rendez-vous mais il reste au lit, car l’idée est faible, presque incapable de mobiliser la volonté. Les minutes s’écoulent, il reporte son réveil. En revanche, que quelqu’un entre dans la chambre, alors le sentiment d’humiliation d’être vu dans cette situation l’en fait aussitôt sortir avec force et vivacité. L’idée a été impuissante, mais le sentiment, a fait bondir le paresseux.
Ainsi, lorsque les idées s’harmonisent avec un état affectif transitoire (sentiment), elles se renforcent puissamment. Conclusion : les idées sont faibles, incapables de mobiliser notre volonté, sauf si elles s’associent avec nos sentiments, nos états affectifs. L’harmonisation entre le sentiment et l’idée n’est pas passive ; l’idée peut ordonner le sentiment dans sa direction comme le cavalier guide le cheval avec ses rênes.
Les états affectifs commandent la volonté
Car les états affectifs ont la puissance d’un cheval, ils ont tout pouvoir sur notre vouloir. Ils peuvent nous faire affronter la souffrance et même la mort. La peur, l’envie, la jalousie, l’orgueil, l’amour, la vanité, toutes ces passions, tous ces sentiments gouvernent nos décisions. L’intelligence elle-même en est souvent esclave, le sentiment allant jusqu’à déformer la perception de la réalité.
On constate cette domination de l’émotion sur la volonté dans l’éducation, mais aussi dans la marche du monde. Les idées ne mènent pas le monde mais les sentiments sur lesquels ces idées s’appuient, eux, mènent le monde. «L’avènement d’une idée n’est pas tant la première apparition de sa formule que sa définitive incubation, quand, reçue dans la puissante chaleur de l’amour, elle éclot, fécondée par la force du cœur» (Michelet, Les Femmes de la Révolution, 1854). Cela est encore mieux résumé par le proverbe de l’Imitation de Jésus-Christ : qui amat non laborat. Alors que faire ?
La royauté de l'intelligence : les lois de l’association des idées
Pour se conforter, il faut lier habituellement les idées avec la conduite de l’action ; car derrière l’habitude, se retrouve la notion de temps, de répétition, c’est-à-dire de persévérance. Le but est que l’acte et l’idée soient si intimement liés, que dès que l’idée surgit en l’esprit, l’acte s’ensuive avec la précision et la vigueur d’un réflexe. Or, comme seul le sentiment peut produire des actes avec ce quasi-automatisme, c’est la raison pour laquelle la soudure entre l’acte et l’idée doit être faite à la chaleur des états affectifs.
Il existe deux types d’états affectifs : les favorables qui poussent dans le sens souhaité, et au contraire, les défavorables qui en éloignent.
États affectifs favorables : «La besogne fût-elle désagréable – et faite de tout cœur elle ne l’est jamais – on peut être sûr, de par les lois de l’association des idées, que l’habitude diminuera les souffrances de l’effort, et qu’on ne tardera point à le rendre agréable». Payot suggère ainsi qu’en mettant son cœur à l’ouvrage, en suscitant volontairement en nous des sentiments favorables à notre vouloir, qu’en répétant cet exercice dans une direction donnée, à la longue, l’effort devient plaisir, devient habitude, devient facile. Il y a là, un puissant moyen de contrôle de soi.
États affectifs défavorables : que faire lorsque les puissances affectives défavorables l’emportent ? Trois leviers d’action sont possibles : le contrôle du corps, la réflexion pour lever les incohérences des idées fausses liées, et enfin la recherche d’un environnement hostile aux sentiments défavorables. «Nous pouvons refuser de les laisser s’exprimer par le langage qui leur est naturel (contrôle du corps, de nos muscles) ; nous pouvons ruiner par une stratégie savante les erreurs auxquelles sont suspendus nos désirs, et ôter tout crédit à des vérités funestes (en forçant l’attention à considérer la médiocrité d’un état paresseux, en prenant en compte les bienfaits d’une bonne lecture au détriment d’une heure passée sur internet, en méditant sur les vérités de la foi, etc.). A ces moyens d’actions, nous joignons la disposition intelligente des moyens extérieurs, l’éloignement du milieu propre à alimenter nos passions et des conditions propres à les favoriser (exemple : ne pas avoir de télévision évite de perdre son temps, ne plus voir tel ami au caractère amer évite de se surprendre à calomnier ses autres amis, etc.) ».
Enfin, en cas de défaite, il ne faut jamais perdre courage. Même face à la défaillance, il est toujours possible de ne jamais consentir pleinement à la passion. Que, selon les mots de saint François de Sales, la fine pure volonté supérieure, la pointe de l’esprit ne consente pas.