Autorité sacerdotale : direction ou paternité spirituelle ?
Institué par l’Eglise gardien des âmes, le prêtre reçoit sur elles l’autorité d’éducateur. Par ses instructions diverses, le prêtre instruit, conseille, reprend et parfois fustige, mais toujours dans le souci constant d’éclairer l’âme de la charité de Dieu. A l’image de celle du Christ, son autorité doit donc être faite de douceur et d’humilité.
Certaines âmes, avides de pénétrer plus intimement la volonté de Dieu, demandent au prêtre des conseils plus personnels pour qu’il les aide de sa science et de son expérience. Cet exercice particulier est celui de la direction spirituelle au cours de laquelle le prêtre conduit l’âme à suivre plus fidèlement le plan divin.
Pour bien caractériser cet exercice sacerdotal, faut-il préférer le terme de directeur de conscience, de directeur spirituel ou de père spirituel ? La question n’est pas anodine et cette dernière expression semble mieux convenir : en effet, si le prêtre indique à l’âme une direction, il ne doit pas se substituer à l’Esprit-Saint qui demeure le seul et véritable directeur de l’âme.
Par ailleurs, insister sur la seule conscience pourrait laisser supposer que l’intervention du prêtre ne touche que le domaine moral de l’obligation et risquerait de le réduire à n’être qu’un légiste, interprète de la loi, destiné au seul apaisement des troubles de conscience.
En réalité, la paternité spirituelle embrasse un champ beaucoup plus vaste : elle permet à l’âme d’avancer, d’entrer dans l’amitié divine en participant à la vie même de Dieu, la Vie Trinitaire. Or, qui dit vie nouvelle, dit paternité.
Aussi, fort de cette autorité paternelle, le prêtre introduit l’âme dans cette nouvelle vie d’amitié divine, lui en donne les codes, lui indique les chemins à emprunter et lui signale les dangers à éviter. Par cette expression de « père spirituel », la direction s’exprime bien comme un enfantement de l’âme à Dieu.
Une course par étapes
Si la confession permet l’accusation et le pardon des péchés de l’âme, la direction spirituelle discerne la cause des chutes en remontant aux sources.
Sans fard, le dirigé expose ses inclinations les plus profondes. Cette nécessaire ouverture va permettre au père spirituel de mieux connaître l’âme et de mettre le doigt sur les origines des péchés, mais aussi sur les vertus et les forces présentes, rendues trop peu actives par faute de connaissance.
Ainsi l’âme, peu à peu, entrevoit mieux la raison des chutes et comprend que ses déficiences proviennent soit de son caractère, soit des habitudes contractées au cours de sa vie.
Cette étape de débroussaillage est primordiale car il serait vain de vouloir planter de bonnes semences dans une âme étouffée par trop de mauvaises herbes. Mais il ne s’agit pas seulement de dresser un tableau des faits, le père spirituel indiquera comment pallier ces manquements et il aidera l’âme, par ailleurs, à discerner la volonté de Dieu sur elle et à la suivre en ne ménageant pas ses encouragements.
Pour construire dans les âmes le royaume du Christ, le prêtre va parallèlement exalter les vertus. Combien de chrétiens savent que leurs vices ne sont souvent que des qualités qu’ils n’ont pas su consacrer ? Le prêtre va donc souligner quelles vertus doivent être pratiquées en priorité, à quels exercices de piété il faut s’adonner et quelle stratégie de combat doit être suivie en raison de l’état de vie, de santé et de beaucoup d’autres éléments particuliers ; le but étant de remporter les victoires qui préparent celle, définitive, de l’Amour du Christ dans l’âme.
Prière, mortification, désir de sainteté et paix
Suivant Dom Chautard, la direction spirituelle peut être divisée en quatre thèmes.
Le premier domaine regarde la vie de prière. Il ne peut y avoir de vie intérieure, d’union à Dieu et de progrès dans son intimité, sans prière. Ce qu’elle est, comment et quand il convient de prier, quels livres faut-il lire pour la nourrir, l’excellence de la liturgie sur toute autre forme de prières : tout fera l’objet d’entretiens. C’est principalement par l’oraison que l’âme marche vers Dieu.
Ensuite, la mortification apporte à la prière la force d’une âme qui veut ne s’attacher qu’à Dieu et qui prend son envol en se détachant du créé pour adhérer au Créateur. De manière concrète, le père spirituel proposera à l’âme de suivre les conseils de Notre Dame à Fatima et de faire de la fidélité au devoir d’état sa pénitence principale.
Le père spirituel veillera aussi à ce que le dirigé conserve au cœur le désir vivace de devenir un saint : l’âme chrétienne ardente doit viser haut car Dieu aime à trouver en face de Lui des âmes nobles prêtes à tous les dévouements, dans lesquelles Il puisse verser à profusion sa grâce régénératrice.
Enfin, il est bon d’établir et de maintenir l’âme dans la paix car le démon attaque férocement et fait feu de tout bois pour l’amener à se décourager. La paix est l’attitude foncière de l’âme chrétienne qui ne nie aucunement ses misères mais croit plus encore dans la miséricorde de Dieu.
Paternité sacerdotale
Face à l’âme qui s’ouvre à lui et lui demande d’exercer sur elle de manière plus particulière la paternité de son sacerdoce, le prêtre doit être animé de belles qualités et faire montre dans sa vie et ses actions d’une vraie charité surnaturelle. Il sera enflammé de l’amour des âmes par amour du Sauveur, du désir d’être celui qui porte le feu de l’amour incréé dans l’âme du dirigé pour qu’il la consume en la purifiant et en l’embellissant des vertus du Christ.
Il ne pourra garder cette flamme de la charité que s’il est homme de prières, animé d’une grande humilité, réalisant profondément qu’il n’est rien par lui-même mais qu’il a été mystérieusement élevé au rang d’instrument de la grâce par la miséricordieuse bonté du Sauveur.
Il se remettra donc totalement au Christ et à l’Esprit-Saint, développant une grande confiance envers Dieu et une grande défiance en ses propres jugements. Il exercera ainsi une réelle autorité vis-à-vis de l’âme, la faisant grandir et lui permettant de s’épanouir.
Cette attitude d’humilité foncière lui permettra d’agir prudemment et de savoir attendre. Il lui faut arriver en effet à concilier dans l’âme de son dirigé les exigences de l’amour dévorant du Christ et la faiblesse inhérente à toute nature humaine. Il devra refréner les désirs des néophytes sans les éteindre et stimuler ceux des âmes blasées sans les dégoûter, ni les éloigner.
Il doit aussi, prudemment, ne pas se laisser aller à une curiosité déplacée et toujours blessante. Il n’est pas l’époux de l’âme mais l’ami de l’époux qui se réjouit de l’union de l’âme à Dieu par l’Esprit-Saint mais qui reste discrètement à sa place.
Mais par dessus tout, selon sainte Thérèse d’Avila, le père spirituel doit être une âme de science théologique. Une âme à l’école du Verbe de Dieu, de la Vérité incarnée. Une âme de foi profonde qui repose sur une science toute d’humilité et de vertu et qui récapitule toutes choses en Notre Seigneur Jésus Christ.
Il lui faudra peut-être fustiger des erreurs, reprendre l’âme qui se confie à lui et savoir se montrer sévère, mais il le fera à la lumière de cette science théologique. Eclairant sa pratique par la référence aux principes de la foi, il reprendra « toujours avec douceur et souci d’enseigner » comme le dit saint Paul dans l’admirable épître de la messe des docteurs. N’est-il pas docteur de cette âme ? La formant à devenir disciple du Sauveur, un « Christ en miniature » comme le dit si plaisamment saint Thomas d’Aquin.
Il est surtout son père, celui qui ne mesure pas sa peine. Il porte donc dans sa prière et dans son zèle sacerdotal cette âme dont il est le garant devant Dieu et se sanctifie lui-même pour elle, partageant ses combats et offrant avec elle des sacrifices pour obtenir la miséricorde de Dieu.
Voilà pourquoi il convient de tant insister à considérer la direction comme l’exercice d’autorité d’une véritable paternité. Celle qui se réjouit de voir ses enfants s’envoler et s’épanouir dans une dépendance de plus en plus forte au Christ, sachant que le Christ en eux doit « croître et eux diminuer ».
Conclusion
En un mot, le père spirituel n’a d’autre ambition que permettre à l’âme de reconnaître la volonté de Dieu sur elle pour s’y conformer.
La paternité spirituelle, trop peu connue et utilisée, permet aux âmes chrétiennes qui végètent dans les vallées terrestres de s’élancer à la conquête de l’amour divin, ou plutôt de se laisser saisir par l’amour de Notre Seigneur pour devenir une « louange de grâce à la gloire de la Trinité Sainte ».
Adoptons un père spirituel !
Elzéar de Kernerz'h