Propos sur le sens chrétien du travail
-
« Dieu plaça Adam dans le paradis pour qu’il le cultive et le conserve »1
Ce n’est pas le travail qui est la conséquence du péché, mais la souffrance et la pénibilité : gagner son pain à la sueur de son front…
Ainsi, beaucoup, à l’instar de l’antiquité, l’ont vu comme malédiction. Le christianisme, au delà du moyen de pourvoir aux nécessités, l’a élevé au rang de dignité, d’honneur, un outil de perfectionnement de l’être.
Mais pour comprendre cela, il faut alors l’isoler de l’économisme et du « financiérisme » contemporains, qui le réduisent à une marchandise, confondant travail et fruit du travail. Si certains de ses fruits, objets matériels, ou intellectuels - livres, conseils… - peuvent faire l’objet de transactions, le travail ne se vend ni ne s’achète. La réalité du travail, ce n’est pas le fait d’une contrepartie financière. Ainsi l’ont bien compris le bambin en train de jouer qui dit avec sérieux : « je fais mon travail », ou l’élève qui étudie d’arrache-pied ses cours, ou encore la mère de famille qui, tenant sa maison, exerce cent professions. Tout cela pour pas un sou !
Le travail, c’est la vie ! Je vais au travail « pour gagner ma vie », de l’argent, bien sûr ; mais aussi acquérir des biens immatériels, car la vie « au travail » c’est autant l’amitié, le sentiment d’être utile, la confiance d’un chef, le désir d’apprendre, des relations de qualité… Autant de réalités qui n’ont pas de prix.
C’est dire que le travail doit - aussi et surtout - être source d’enrichissement intérieur, intellectuel, moral, spirituel. C’est alors qu’il commence à prendre tout son sens chrétien ! Par le travail, l’homme extériorise ses talents et se dévoile à lui-même des potentiels insoupçonnés ; selon l’Aquinate, il nous révèle « de plus en plus la fécondité de la nature »2. Il nous fait participant au maintien, à la mise en ordre, au développement de la Création. En toute humilité !
Car nous avons besoin des autres ; par la mise en œuvre de nos capacités, forcément limitées, le travail nous fait agir dans le sens de la cohésion, de la complémentarité : savoir, savoir-faire, savoir-être et talents de chacun au service de tous. Ainsi, contribue-t-on au bien commun de toute la société, héritiers que nous sommes et débiteurs, dont toute une vie ne suffira pas pour éponger la dette ! En favorisant la communication des biens, le travail chrétien est service.
Mais il est aussi école de réalisme, car il éduque au sens de la responsabilité personnelle : on y reçoit rapidement la conséquence de ses propres actions. C’est là une des caractéristiques éminentes du sens chrétien du travail. Le salut est personnel, car le jugement sera personnel. Il sera demandé à chacun des comptes sur l’usage fait des talents reçus. Ce sont ses œuvres qui l’accompagneront dans l’autre monde, où il devra se justifier de son administration : «Tout arbre qui ne portera pas de bons fruits sera jeté au feu».
« Ora et labora ». Le bénédictin ne cesse de travailler, l’office divin n’étant que la partie la plus noble du travail monastique. Charles Péguy évoquant des ouvriers qu’il avait connus, écrivait : « Ils disent que travailler c’est prier, et ils ne croient pas si bien dire. Tant leur travail est une prière, et l’atelier, un oratoire. »
Yann Le Coz
2 Somme Théologique I, Q.102 art 4