Voilà maintenant plus de dix ans que Jorge Mario Bergoglio est assis sur le trône de saint Pierre. Souvent surprenant dans ses discours et ses décisions difficiles à déchiffrer, il a pourtant martelé inlassablement ses convictions sur un certain nombre de thèmes qui caractériseront à jamais son pontificat. De véritables leitmotivs comme le droit inaliénable à l’immigration, la promotion de l’écologie intégrale ou le développement de la synodalité sur fond de syncrétisme. Voici un rapide tour d’horizon en cette fin d’année 2023.
L’accueil inconditionnel des migrants - Visite du pape François à Marseille
Le pape François s’est rendu à Marseille les 22 et 23 septembre derniers pour participer aux troisièmes Rencontres méditerranéennes présidées par le cardinal Jean-Marc Aveline. Après les deux premières éditions de Bari (2020) et Florence (2022), l’objectif était de rassembler 70 jeunes et 70 évêques représentant «la mosaïque de peuples, de cultures, de religions qui composent la Méditerranée», afin de partager la même espérance autour de quatre thèmes identifiés comme défis majeurs de l’espace méditerranéen : le défi environnemental, la question migratoire, les disparités économiques et les tensions géopolitiques et religieuses. Le rapport avec la Rédemption ne paraît pas évident, mais «servir l’unité du genre humain dans cette région si particulière» semble la priorité du pape. Après plusieurs jours de travail, les deux groupes ont pu croiser leurs analyses et rédiger une synthèse présentée au pape François. Ce dernier, qui voulait soigneusement éviter une visite officielle dans un pays développé refusant d’accueillir sans condition les réfugiés de Lampedusa, avait déclaré sans détour «Je ne vais pas en France, mais à Marseille1». Cela n’a pas refroidi Emmanuel Macron qui a dû se démener pour organiser une rencontre formelle sur place. Après une visite à Notre-Dame de la Garde, ou plutôt au mémorial des marins et migrants perdus en mer, le pape s’est rendu au palais du Pharo où il a pu développer comme jamais sa pensée sur l’immigration. Dans un discours très politique, il a rappelé la nécessité absolue d’accueillir tous les migrants, et posé comme droit inaliénable le fait de pouvoir migrer ou de ne pas migrer. Il a surtout fait une distinction inquiétante en promouvant l’intégration et en condamnant l’assimilation. Les rencontres se sont terminées au stade Vélodrome par une messe de clôture devant plus de 57 000 personnes.
Écologie intégrale - L’exhortation Laudate Deum dans le sillage de Laudato si’
Dans son encyclique E Supremi du 4 octobre 1903, saint Pie X, fraîchement élu pape, annonçait le programme de son pontificat : «Tout restaurer dans le Christ». Le 24 mai 2015, le pape François donnait le sien dans son encyclique Laudato si’ : promouvoir l’écologie intégrale pour la sauvegarde de la maison commune. En plus des aspects environnementaux, ce nouveau concept d’écologie intègre les aspects économiques, sociaux, culturels et ceux de la vie quotidienne. Ces différents aspects feraient pleinement partie de la nature d’un lieu et devraient donc être respectés et préservés comme tels. À la lumière de cette encyclique, on comprend mieux le synode pour la famille de 2015, celui sur l’Amazonie en 2020 ou encore celui sur la synodalité qui s’est tenu en octobre dernier à Rome.
Dans Laudate Deum, à quelques semaines de l’ouverture de la Conférence de Dubaï sur les changements climatiques (COP 28), le pape se concentre sur la question climatique. Dans un discours encore une fois très politique, il fustige les climato-sceptiques et élève le réchauffement climatique au rang de fléau absolu. Il accuse particulièrement les pays les plus riches et incrimine les responsables politiques et économiques occidentaux, considérés comme responsables. Il dénonce le manque d’engagement des grandes puissances et appelle à un gouvernement mondial éclairé, capable de mettre en place une transition énergétique contraignante et contrôlable.
Synodalité : doutera bien qui doutera le dernier
Le synode sur la synodalité, dont la phase préparatoire s’est étalée sur deux années, s’est ouvert à Rome le 4 octobre 2023. S’il est trop tôt pour savoir ce qui sortira de cette assemblée, cela fait bien longtemps que tout le monde s’en doute. La route tracée par le Chemin synodal allemand depuis 2018 et les travaux préparatoires ne laissent en réalité que peu de place à la surprise. À tel point que cinq cardinaux2 ont pris la peine de formuler des dubia3 adressées au pape François dans le but de couper l’herbe sous les pieds des pères (et désormais laïcs4) synodaux. Formulées le 10 juillet, les dubia ont reçu leur réponse dès le lendemain, ce qui laisse fortement penser que les organisateurs du synode avaient déjà prévu les réponses aux objections. Les questions portaient sur le développement doctrinal, la bénédiction des unions homosexuelles, l’autorité du synode sur la synodalité, l’ordination des femmes et l’absolution sacramentelle. Mais dans ses réponses, le pape n’a pas respecté le format requis par les dubia, autrement dit il n’a pas répondu par oui ou par non. Il a simplement apporté des réponses vagues qui laissent toute la place au débat5. Devant cet état de fait, le 21 août, les cardinaux ont retransmis au pape leurs dubia reformulées en demandant une réponse conforme au modèle requis. Faute de réponse, le 2 octobre, soit deux jours avant l’ouverture du synode, ils ont publié une Notification aux fidèles du Christ6 pour les prévenir de la situation. Ils précisent agir pour éviter que les fidèles ne tombent dans les erreurs contraires à la doctrine et la discipline constantes de l’Église, erreurs soutenues au synode par de hauts prélats de l’Église. Devant cet embarrassant communiqué, le Vatican a publié le jour même les réponses du pape apportées aux dubia le 11 juillet7. À l’heure actuelle les dubia reformulées n’ont toujours pas reçu de réponse.
Un nouveau préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi, l’héritage du pape François
On ne peut nier que la ligne suivie par le pape François tranche avec celle de ses prédécesseurs, malgré leur attachement commun au concile Vatican II. Mais que restera-t-il de tout cela si le pape vient à disparaitre ? Le 1er juillet 2023, François a pris soin de nommer un ami proche comme préfet du Dicastère pour la doctrine de la foi : Victor Manuel Fernandez. Argentin comme lui, il partage ses convictions sur l’immigration, l’écologie intégrale et la nature synodale de l’Église. Et comme il n’est pas pape, il ne cache pas son ouverture à la bénédiction des couples homosexuels. Dans sa lettre de nomination, le pape lui demande de «veiller sur l’enseignement qui découle de la foi afin de donner des raisons à notre espérance, mais pas comme un ennemi qui critique et condamne». Il précise plus loin : «Il fut un temps où, au lieu de promouvoir la connaissance théologique, on poursuivait d’éventuelles erreurs doctrinales. Ce que j’attends de toi est certainement très différent […]. Il est bon que ta tâche exprime que l’Église "encourage le charisme des théologiens et leur effort de recherche théologique à condition qu’ils ne se contentent pas d’une théologie de bureau" […] Nous avons besoin d’une pensée capable de présenter de manière convaincante un Dieu qui aime, qui pardonne, qui sauve, qui libère, qui promeut les personnes et les appelle au service fraternel.»
Avec Mgr Fernandez, on n’a pas fini de douter.