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La famille catholique remise en question jusqu’au sein de l’Église

Les débats sur la famille et la morale conjugale prennent toujours plus de place au sein même de l’Église, dans un monde où les lois divines et naturelles ne jouissent plus de la moindre considération. Un petit regard rétrospectif s’impose.

Jusqu’au concile Vatican II

La famille, cellule de base de la société, a toujours été l’objet du soin attentif des pasteurs, sans avoir pour autant ses instances représentatives à Rome. Au XXe siècle, devant les attaques de plus en plus pressantes de la société moderne, les papes ont dû dresser la barrière de la doctrine, jusqu’à fonder des instances spécifiques pour la défendre et la promouvoir.

En 1930, l’encyclique Casti Conubii de Pie XI, expose avec clarté la doctrine catholique sur le mariage et la famille. Les trois fins du mariage y sont développées dans l’ordre : 1) procréation et éducation des enfants 2) soutien mutuel des époux 3) remède contre la concupiscence.

En 1963, en plein concile Vatican II, Jean XXIII fonde la Commission pontificale pour l’étude de la population, de la famille et de la natalité, pour éclairer les pères conciliaires sur les questions concernant le mariage et la régulation des naissances. Rapidement dominée par les ultra-progressistes qui voulaient un assouplissement de la discipline, la Commission ne parvient pas à produire un texte faisant l’unanimité, et Paul VI finit par suspendre les débats sur la morale dans le mariage, se réservant la réponse pour plus tard.

En 1965, sans donner plus de précisions sur les questions de morale (les nouveaux moyens de contraception, notamment), le Concile expose sa doctrine sur le mariage en laissant entrevoir dans plusieurs passages une inversion des fins développées par Pie XI. Dans une logique personnaliste, le don mutuel des époux passe au premier plan ; la procréation et l’éducation des enfants passent au second plan, comme conséquence et preuve de la nouvelle fin première : le soutien mutuel des époux. On ne parle déjà plus de remède à la concupiscence.

Paul VI, d’Humanae Vitae au Comité pour la famille

Après le Concile, la montée du malthusianisme et la libéralisation des mœurs continuent de mettre à mal la morale conjugale. Enfin la réponse tombe : dans son encyclique Humanae Vitae du 25 juillet 1968, Paul VI condamne fermement tout moyen actif de contraception. Il reprend malheureusement l’argumentation personnaliste du Concile, pointant d’abord les méfaits de la contraception contre l’union des époux vue comme but premier du mariage, puis contre la génération vue comme fin secondaire. Mais la conclusion reste sans appel et préserve la discipline traditionnelle de l’Église dans ses lois, sinon dans ses principes. Humanae Vitae provoque un véritable tremblement de terre dans les médias et chez les progressistes, tout en laissant la porte ouverte à une nouvelle théologie «sexuelle» au service du don mutuel des époux.

En 1973, devant l’insistance des novateurs, Paul VI créé le Comité pour la famille, chargé d’étudier les nouvelles problématiques morales dans toute leur ampleur, et de promouvoir une pastorale familiale adaptée dans les diocèses. C’est l’ancêtre de l’actuel Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie au sein de la Curie Romaine.

Jean-Paul II, de la « Théologie du corps » au Conseil pontifical pour la famille

On a attribué à Karol Wojtyla une forte influence dans la rédaction d’Humanae Vitae. Devenu pape, il prononce entre 1979 et 1984 une série de 129 catéchèses sur «l’amour humain dans le plan divin, et les conséquences du péché originel sur les relations entre hommes et femmes». Plus connu sous le titre de «Théologie du corps», c’est le plus long enseignement jamais prononcé par un pape sur un même sujet. Concevant le mariage comme une communion de personnes trouvant leur accomplissement dans le don de soi et la réception de l’autre, il développe une véritable théologie de la sexualité au service du don mutuel des époux. L’expression de ce don mutuel devient comme la fin première de l’acte conjugal ; la procréation n’en étant plus qu’une conséquence, sainte et respectée certes, mais au service de la première. Si la théologie du corps donne une trop grande importance au plaisir légitime attaché à l’union des corps entre époux, elle est, en revanche, accompagnée d’une ferme défense de la morale et de la discipline conjugale; l’amour dans le don de soi et la réception de l’autre ne pouvant être vrai que dans le respect des fins unitives et procréatrices de la sexualité humaine.

En 1981, Jean-Paul II élève le Comité pour la famille au rang de Conseil pontifical, chargé de coordonner les actions et études des œuvres catholiques portant sur les domaines de la famille. Simultanément, il crée l’Institut pontifical Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille. Rattaché à l’Université pontificale du Latran, sa mission est de promouvoir la théologie du corps.

En 1994, le Conseil pontifical pour la famille lance la rencontre mondiale des familles, qui a lieu tous les 3 ans encore aujourd’hui. Moins connue que les JMJ, elle n’a jamais dépassé les 40 000 participants, mais sert malgré tout de vitrine pour la pastorale familiale en vogue.

François, d’Amoris Laetita au Synode pour la synodalité, la fin de la famille catholique ?

Avec le pape François, on change de perspective. Dans sa conception de la synodalité, François pose la création et l’humanité entière comme «lieux théologiques» pour discerner la voix de l’Esprit Saint qui guide nos pas vers l’Église du IIIe millénaire. Il crée ainsi une véritable dichotomie entre la doctrine et la pratique. On le voit régulièrement rabaisser l’attachement aux principes doctrinaux pour mettre l’accent sur l’accueil et le soin de l’autre, ou prôner une Église «en sortie». Dans cette perspective, l’attachement à la discipline traditionnelle devient encombrant. On l’a bien compris lors du Synode sur la famille lancé en 2014, suivi de l’exhortation apostolique Amoris Lætitia en 2016. On y reconnait l’indissolubilité du mariage en théorie, mais on la relativise en pratique, en ouvrant l’accès des sacrements aux divorcés-remariés. Encore une fois la pastorale prend le dessus sur la doctrine. La même année, dans le cadre de la réforme de la Curie romaine, François fonde le nouveau Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie. Son rôle n’est plus d’étudier et d’enseigner, mais de servir de relais entre les Églises particulières, les Conférences épiscopales, et les autres organismes ecclésiaux, en favorisant les échanges entre eux et en offrant sa collaboration pour que soient promues «les valeurs et les initiatives liées à ces questions».

En 2017, c’est le tour de l’Institut pontifical Jean-Paul II de faire les frais du changement. Ses statuts sont revus pour qu’il étudie davantage, à l’aide des sciences humaines, la «réalité de la famille d’aujourd’hui dans toute sa complexité». La quasi-totalité du corps professoral est changée, et les cours spécifiques sur la théologie du corps sont supprimés. L’heure n’est plus à la théologie, mais aux sciences sociales, pour mieux comprendre les défis pastoraux à relever.

Va-t-on s’arrêter là ? En octobre 2023 se tiendra la première session du Synode sur la synodalité qui a fait l’objet d’une phase préparatoire si particulière : sorte d’états généraux aboutissant à un document préparatoire des plus inquiétants. La famille n’y est pas épargnée : la réforme de la discipline et de la morale catholiques du mariage y est demandée à grands cris. Après l’abandon de la doctrine traditionnelle sur la nature du mariage, ces derniers remparts contre l’immoralité vont-ils rester debout ?