Le 10 octobre 2021, le pape François lançait officiellement la phase préparatoire de la XVIe assemblée ordinaire du synode des évêques, qui se tiendra en octobre 2023 sur le thème de… la synodalité. Deux ans de «cheminement» pour continuer à transformer l’Église en ce qu’elle n’est pas.
Continuer à pédaler…
En septembre 1965, Paul VI institue le Synode des évêques, avec un calendrier de réunions ordinaires tous les deux ans. Sorte de concile en miniature, cette assemblée a pour fin de discuter des sujets majeurs dans l’Église et de manifester clairement la collégialité des évêques, si chère au concile Vatican II. Mais ce qui était une «avancée» en 1965 est clairement désigné comme insuffisant aujourd’hui : «l’Église réalise de plus en plus que la synodalité est la voie à suivre pour l’ensemble du Peuple de Dieu. Le processus synodal n’est donc plus seulement une assemblée d’évêques mais un voyage pour tous les fidèles». Comme disait Che Guevara, la révolution c’est comme une bicyclette, quand elle n’avance pas, elle tombe.
Foi et morale viennent du peuple, écoutons-le !
Le Vademecum publié en septembre 2021 pour accompagner la phase préparatoire du synode permet de comprendre la démarche. À la base se trouve une conception erronée de la foi, décrite comme une expérience vécue, une rencontre personnelle avec Dieu plutôt que l’adhésion de l’intelligence aux vérités révélées (ce qui serait réducteur !). Quel que soit son état, le baptisé est le temple du Saint-Esprit et, par nature, guidé et inspiré par l’Esprit-Saint qui manifeste en chacun la merveilleuse diversité de ses dons. Pour savoir où aller, il suffit donc d’écouter la voix de l’Esprit-Saint qui parle au travers de chacun. Conséquence : le rôle du pape n’est plus de garder et de transmettre le dépôt de la révélation mais de discerner la voix de l’Esprit-Saint dans l’ensemble de son peuple, même en matière de foi et de morale : «Les fidèles ont reçu l’Esprit-Saint par le baptême et la confirmation et sont dotés de divers dons et charismes pour le renouvellement et la construction de l’Église, en tant que membres du Corps du Christ. Ainsi, le pouvoir d’enseignement du pape et des évêques est en dialogue avec le sensus fidei fidelium, la voix vivante du Peuple de Dieu».
La phase préparatoire, un véritable exercice pratique
La phase préparatoire a une importance particulière, puisqu’elle doit permettre de discerner comment développer la synodalité dans l’Église, par un exercice pratique de synodalité en action. Elle donne ainsi une vision claire de la conception de la synodalité par le pape François.
Elle se divise en deux étapes : la phase diocésaine d’octobre 2021 à avril 2022, et la phase continentale de janvier à mars 2023.
Dans le cadre de la première phase, chaque évêque a nommé dans son diocèse un ou deux référents (dans ce cas un homme et une femme) chargés de constituer une équipe pour mener à bien les consultations. Chaque réunion ou intervention a fait l’objet d’une synthèse transmise à l’équipe organisatrice, chargée elle-même de rédiger la synthèse diocésaine, présentée lors d’une grande réunion de clôture. Chaque synthèse diocésaine a ensuite été remontée vers la conférence épiscopale, chargée de rédiger la synthèse nationale, transmise au secrétariat général du synode avant fin avril 2022.
Sur la base de ces synthèses, une équipe hétéroclite d’experts, représentative de la diversité de l’Église et nommée par le secrétariat général du synode, s’est retirée pour rédiger le Document préparatoire pour l’étape continentale (DPC), publié en octobre 2022. L’objectif n’était pas de porter des jugements ou de créer des débats mais de rapporter fidèlement les inspirations, espoirs et craintes du peuple de Dieu. Ce document a servi de base de travail pour la phase continentale.
Début 2023 chaque continent (ou zone géographique) a réuni les délégations de ses pays membres, pour travailler ensemble sur le DPC et dégager les priorités à traiter lors du synode des évêques qui se réunira en octobre 2023. En plus de l’Europe, dont la réunion a eu lieu à Prague du 10 au 15 février, on compte six autres zones géographiques : l’Amérique du Nord, l’Amérique latine, le Moyen-Orient, l’Asie, l’Afrique et l’Océanie. En tout sept documents finaux seront donc transmis courant mai au secrétariat général du synode. Une nouvelle équipe d’experts sera alors députée à la rédaction du Documentum Laboris, qui servira de base de travail à l’assemblée synodale d’octobre 2023.
Consulter tout le monde, même les ennemis de l’Église !
Au cours de la phase diocésaine, les consultations devaient être les plus larges possible. Le Vademecum insiste à l’extrême sur l’importance capitale de toucher tout le monde, particulièrement les personnes dont la voix est rarement entendue : «Nous devons personnellement atteindre les périphéries, ceux qui ont quitté l’Église, ceux qui pratiquent leur foi rarement ou jamais, ceux qui connaissent la pauvreté ou la marginalisation, les réfugiés, les exclus, les sans-voix, etc.». Après ce qui vient d’être cité le «etc.» ne rassure pas ; pas plus que le terme «inclusion» utilisé au moins six fois dans le texte. Et il ne s’agirait pas de s’arrêter «aux limites visibles de l’Église, [car] un processus synodal est [aussi] un temps de dialogue avec des personnes issues du monde de l’économie et de la science, de la politique et de la culture, des arts et du sport, des médias et des initiatives sociales». L’essentiel reste d’abandonner toutes nos certitudes car «le dialogue nous conduit à la nouveauté : nous devons être disposés à changer nos opinions en fonction de ce que nous avons entendu des autres».
Les consultations s’organisent autour d’une question centrale : «Une Église synodale, en annonçant l’Évangile, "marche ensemble". Comment ce "marche ensemble" se réalise-t-il aujourd’hui dans votre Église locale ? Quels pas l’Esprit nous invite-t-il à accomplir pour grandir dans notre "marcher ensemble" ?»
Rien n’est imposé pour le format et le mode de consultation mais une méthode d’introspection est proposée pour chercher la voix de l’Esprit-Saint en nous. Il s’agit de faire des tablées de six ou sept personnes maximum, d’écouter chacun sur ce que la question centrale évoque en lui, sans interruption. «Suit un temps de silence pour observer les motions intérieures de chacun. [Puis] les participants échangent sur ce qui les a interpellés dans la première partie et pendant le temps de silence qui a suivi ; un dialogue est possible mais en s’efforçant de rester concentré. Un deuxième temps de silence vient ensuite. [Enfin] les participants évoquent ce qui les a marqués personnellement et plus profondément, et font part d’éventuelles nouvelles intuitions et questions qui n’ont pas encore trouvé de réponse.» Pour finir chaque groupe choisi un modérateur chargé de transmettre une synthèse aux organisateurs. Que peut-il sortir de bon de ce genre d’exercice ?
Élargis l’espace de ta tente
Sans surprise, le DPC qui synthétise la phase diocésaine n’est qu’un amas flou «d’intuitions» prévisibles allant dans le sens du vent. Son titre : «Élargis l’espace de ta tente» est évocateur. Il s’agit d’une citation d’Isaïe (54,2) mais affublée d’une interprétation libre extrêmement arrangeante. Un chapitre entier explique l’image de la tente, invitant le lecteur à concevoir l’Église comme une tente extensible et modulable selon les besoins et surtout, parfaitement mobile pour suivre le peuple de Dieu dans sa marche à travers l’Histoire ! En réalité cette citation suit immédiatement le fameux chapitre 53, qui valut à Isaïe le titre de cinquième évangéliste, tant le Rédempteur et sa passion y sont décrits avec précision. Et le chapitre 54 est une description de la Nouvelle Jérusalem, appelée à élargir l’espace de sa tente pour faire entrer les élus rachetés par le Christ.
Le document étale ensuite les craintes et les espoirs du peuple de Dieu, sans jugement ni piste de réponse. Il reste surtout très vague, parlant par exemple d’inclusion, de dialogue ou de soigner les blessures, sans plus de précision. On souhaite par exemple privilégier l’écoute plutôt que les réponses moralisatrices, inclure tout le monde quel que soit son mode de vie et prendre en compte la situation particulière de chacun. On veut l’égalité des sexes, revoir la place de la femme dans l’activité ministérielle et écouter le clergé sur ses attentes affectives et sexuelles. On veut changer les structures et rendre les processus de décision plus participatifs. Il faut accentuer le dialogue œcuménique pour atteindre la concorde et renforcer la justice sociale ; prendre en compte les problématiques climatiques et environnementales. On veut abandonner le «cléricalisme», permettre l’inculturation de la foi localement et instaurer un aggiornamento permanent. Mais toutes ces demandes ne font pas l’unanimité dans toutes les synthèses et le texte fait aussi état de craintes émises devant les innovations, sans grande précision. Quoi qu’il en soit, le leitmotiv reste le même jusque dans la conclusion du DPC : «Nous sommes une Église en apprentissage et pour ce faire, avons besoin d’un discernement continu qui nous aide à lire ensemble la Parole de Dieu et les signes des temps, de manière à avancer dans la direction que nous désigne l’Esprit».
Tous pour un, chacun pour soi
Les assemblées continentales n’ont pas encore transmis leur compte rendu au secrétariat du synode, et le Documentum Laboris ne sera publié qu’en juin 2023. Pourtant le pire est à craindre. Pouvait-il en être autrement avec un tel processus ? Comment le pape pourrait-il contenir les demandes des plus progressistes quand lui-même a donné la consigne de ne mettre aucune limite à l’innovation ? Il y a fort à parier que ce synode aboutira à des textes suffisamment flous pour ménager la chèvre et le chou, en laissant suffisamment de marge de manœuvre aux novateurs pour imposer leurs réformes où ils le pourront. On le voit déjà en Belgique et en Allemagne où un rite de bénédiction des couples de même sexe a été instauré malgré l’interdiction de la Curie romaine, sans que le pape s’en soit jamais plaint. Tous pour un, chacun pour soi.