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«Fin de vie», l’Église de France entre dans le débat

À l’initiative d’Emmanuel Macron, le débat sur l’euthanasie et le suicide assisté est relancé en France, en vue d’une éventuelle loi d’ici fin 2023. L’Église de France y participe… À sa manière !

Un débat «citoyen» pour une future loi

Promesse de campagne du candidat Macron, l’organisation d’une Convention citoyenne sur la fin de vie a été confiée, à l’automne dernier, au Conseil économique social et environnemental (CESE). Composée de 185 citoyens représentatifs de la population française et tirés au sort, elle travaille sur la question suivante : «Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ?» Elle devra rendre sa copie le 31 mars 2023, à la suite de quoi l’exécutif devrait déposer un projet de loi.

En parallèle, divers groupes parlementaires se sont déjà formés pour rencontrer les acteurs de la fin de vie, consulter des experts, organiser des débats. Nous voilà rassurés ? Pas vraiment ! La Convention citoyenne et les travaux parlementaires qui l’accompagnent ne font que « déminer » le terrain pour faire accepter plus facilement le futur projet de loi et éviter tout débat clivant à l’Assemblée.

Une évolution attendue

L’annonce de ce débat n’est pas une surprise. Déjà en 2016, la loi Claeys-Léonetti1 introduisait la possibilité d’une sédation profonde et continue, à la demande du patient et lorsque le pronostic vital était engagé à court terme. Manifestement, ce n’est pas suffisant ! L’objectif est de s’aligner sur les pays voisins comme les Pays-Bas ou la Belgique, où l’euthanasie et le suicide assisté sont possibles depuis longtemps. En réalité, derrière le discours sur le droit à mourir dans la dignité, se dégage toute une vision anthropocentrique :

  1. L’homme n’appartient qu’à lui-même et doit être seul décisionnaire en ce qui concerne sa vie et sa mort.
  2. La souffrance, grande ou petite, est sans valeur et doit être éliminée.
  3. La morale est un fruit de la conscience humaine ; elle est évolutive et doit être exprimée à travers un processus démocratique. Toute notion de loi naturelle et divine s’imposant à l’être humain est bien sûr exclue.

C’est ainsi qu’aux yeux de la loi un meurtre devient progressivement un droit !

La position de l’Église

L’euthanasie et le suicide assisté, n’ont jamais été un sujet de débat dans l’Église catholique ; ils ont toujours été condamnés comme un crime et un grave péché3. L’homme ne tient pas sa vie de lui-même et n’en est pas le maître absolu, aussi odieux que cela puisse paraître aujourd’hui à nos contemporains. Le progrès technologique donnant lieu à de nouvelles questions éthiques, Pie XII prononça le 24 novembre 1957, un discours devant un groupe d’anesthésistes et de réanimateurs, qui reste encore le texte de référence à ce sujet4. Réaffirmant que l’euthanasie n’est pas licite, le pape déclare qu’il n’y a pas d’obligation de toujours utiliser tous les moyens thérapeutiques potentiellement disponibles et que, dans des cas bien définis, il est licite de s’en abstenir. C’est la première référence au principe du refus de « l’acharnement thérapeutique », reconnaissant comme moralement acceptable le fait de s’abstenir ou de suspendre l’utilisation de mesures thérapeutiques lorsqu’elles sont disproportionnées5.

L’Église et le danger du débat

Le pape François a exprimé plusieurs fois son avis à ce sujet. Le 21 octobre 2022, il affirmait devant 40 élus locaux du diocèse de Cambrai qu’«on ne peut demander aux soignants de tuer leurs patients» et rappelait la nécessité de développer les soins palliatifs pour alléger la souffrance jusqu’à la mort naturelle. Trois jours plus tard, il recevait Emmanuel Macron au Vatican. Malheureusement, d’après Le Figaro6, il ne jugeait pas utile de le mettre en garde, le renvoyant au débat avec l’Église de France. Cet épisode résume à lui tout seul le paradoxe de l’Église aujourd’hui. Elle combat l’euthanasie et le suicide assisté mais évite de se positionner comme maîtresse de vérité, en rappelant les principes de la loi naturelle et divine et la nécessité pour les sociétés de s’y soumettre. Elle se contente de s’insérer dans le débat pour tenter de peser sur son issue : stratégie lourde de conséquences, puisqu’elle légitime le fait qu’il y ait débat et positionne l’Église catholique au même niveau que toute association représentative d’une portion de la population. À cette fin, elle n’hésite pas à s’allier avec d’autres :

Le 7 décembre 2022, le Cécef (Conseil d’Églises chrétiennes en France) publiait une déclaration commune sur la fin de vie, commençant par ces mots : «Le Cécef salue l’ouverture du débat sur la fin de vie voulu par le président de la République. Comme composante de la société française, chaque confession chrétienne s’est exprimée sur ce sujet et continuera à le faire». Le texte rappelle ensuite les «convictions» de l’organisme. Il est signé œcuméniquement par Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, co-président du Cécef avec le pasteur Christian Krieger et le métropolite Dimitrios.

La véritable réponse : l’accompagnement et les soins palliatifs.

L’euthanasie et le suicide assisté sont-ils des réponses adéquates pour restaurer la dignité humaine et répondre aux besoins des patients en fin de vie ? Malgré son œcuménisme amollissant, l’Église de France répond clairement : non. Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes et responsable du groupe de travail «Bioéthique» au sein de la Conférence des évêques de France, a présenté la position de l’Église catholique le 2 février 2023 devant la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti en insistant sur plusieurs points :

  • les effets néfastes de l’individualisme ambiant qui veut que l’homme ne vive que pour lui seul. À ses yeux, «Introduire dans la loi la possibilité de donner la mort serait une régression7» ;
  • l’accompagnement des personnes en fin de vie et particulièrement le développement des soins palliatifs comme seule véritable réponse ;
  • le manque de connaissances et de formation du personnel soignant à ce sujet. 26 départements en France sont encore dépourvus d’unités de soins palliatifs et le déploiement à domicile de ces soins est encore très insuffisant.

En effet, les demandes de suicide assisté sont très rares quand existe une possibilité d’accompagnement sous forme de soins palliatifs ; les soignants savent bien qu’en période de grande fragilité les désirs du patient sont ambivalents.

Et Mgr d’Ornellas de conclure par une nouvelle question : «Comment maintenir le pacte de confiance si des personnes fragiles savent que le corps médical peut à la fois les accompagner et accompagner leur mort ?»

Sages réflexions mais on doit regretter que l’Église catholique laisse aux musulmans le soin de parler des droits de Dieu : «Dieu seul a le pouvoir de vie et de mort» et aux orthodoxes celui de parler du ciel : «La vie […] n’est plus considérée comme donnée, elle n’est plus liée à un au-delà»8


1. À ne pas confondre avec la loi Leonetti de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
2. Catéchisme de saint Pie X, n° 193.
3. Discours du pape Pie XII en réponse à trois questions de morale médicale sur la réanimation, 24/11/1957. Disponible sur le site du Vatican.
4. Abbé François Knittel, Au service de la vie. Vingt leçons de bioéthique, Éditions du Cerf.
5. Fin de vie : Emmanuel Macron n’est pas « pressé » de faire une loi, article du Figaro du 25/10/2022.
6. Entretien avec Mgr Pierre d’Ornellas, Ouest-France, 02/02/2023.
7. Ouest-France : « Fin de vie : les religions opposées à toute aide active à mourir », 16/12/2022.