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Le Rhin se jette dans le vide

Le Chemin synodal allemand, vers une Eglise nationale indépendante et schismatique ?

Le rapport « MHG »

La Conférence épiscopale allemande (Deutsche Bischofskonferenz, DBK) a commandé entre 2014 et 2018 une large étude auprès des trois universités de Mannheim, Heidelberg et Giessen, dite « étude MHG ». Menée par des chercheurs de toutes spécialités (psychiatres, criminologues, sexologues…), non catholiques et indépendants, l’étude portait sur la recherche de causes systémiques aux abus sexuels dans l’Eglise, afin de traiter le problème en Allemagne.townscape 5584820 1920 pixabay r

Partant de l’a priori que les abus sexuels trouvent dans la structure même de l’Eglise un terrain favorisant, le rapport MHG met « scientifiquement » en lumière trois causes principales aux déviances : le pouvoir clérical, la morale sexuelle culpabilisante et l’imposition du célibat sacerdotal.

La DBK s’est attelée dès 2018 à l’étude de ce rapport, ce qui aboutit en mars 2019 à l’annonce d’un événement spécial par son président d’alors, le cardinal Reinhard Marx : le Chemin synodal.

Le Chemin synodal – Der synodale Weg

Cette procédure spéciale doit permettre une réflexion globale, « en Eglise », sur les trois points soulevés par le rapport MHG, et doit aboutir à la prise de décisions concrètes et contraignantes. Elle s’organise en réalité comme un petit concile national, mais universel (clercs et laïcs) et égalitaire, en collaboration étroite avec le Comité central des Catholiques allemands (Zentralkomitees der deutschen Katholiken, ZDK) : les représentants du clergé et ceux des laïcs sont en même nombre, et ont chacun une voix du même poids. Mieux, les décisions votées en assemblées plénières doivent obtenir la double majorité des deux tiers : majorité du côté du clergé, et majorité du côté des laïcs. Le Chemin synodal se déploie d’ailleurs sous la double direction des présidents de la DBK et du ZDK.

Un 4e point est rapidement ajouté à l’ordre du jour sous l’impulsion du ZDK : la place de la femme dans le ministère. Les quatre thèmes à l’étude doivent être discutés en assemblée plénière sur la base d’un documentum laboris1 établi en amont par un forum préparatoire2, composé à égalité de représentants de la DBK et de la ZDK.

La réaction romaine

L’initiative allemande a vite fait parler d’elle dans les milieux romains. Une lettre du pape François est venue, dès le 29 juin 2019, encourager cette démarche synodale dans son principe. Seule mise en garde : penser que l’on peut régler tous les problèmes par un changement ou une amélioration de l’organisation tient de l’illusion. La véritable solution se trouve dans la synodalité elle-même : s’appuyer sur le sensus fidei fidelium (sens de la foi des fidèles). Entendre : la solution se trouve dans le peuple de Dieu où agit l’Esprit-Saint, écoutez-le !

Le fait que la discussion porte librement sur des sujets aussi graves que la nature du caractère sacerdotal, le célibat des prêtres ou la morale sexuelle ne semble pas poser de problème. On comprend mieux la notion de « tradition vivante » dans ce contexte.

Les statuts du Chemin synodal ont tout de même été présentés à la Curie romaine, car tout synode ou concile particulier doit recevoir l’approbation de Rome pour pouvoir se tenir. Et la réponse de la Congrégation des Evêques, intervenue le 4 septembre 2019, est très claire : la fin poursuivie par le Chemin synodal est illégitime, car les sujets traités concernent l’Eglise universelle, et non uniquement l’Eglise en Allemagne. De plus, les décisions du Synode doivent être contraignantes en Allemagne, ce qui pose à nouveau problème au vu de l’universalité des sujets traités. Enfin, l’égalité entre les laïcs et les clercs, tant dans les forums préparatoires que dans les organes décisionnels, est contraire au droit canon : la synodalité ne signifie pas la démocratie.

Réponse du cardinal Marx : peu importe en réalité, car le Chemin synodal n’est pas proprement un synode et encore moins un concile national, c’est un processus sui generis (d’un genre propre), qui ne doit pas être interprété à travers le prisme du droit canon. Ce processus particulier répond à l’urgence de la situation, et aux particularités de l’Eglise d’Allemagne. C’est ni plus ni moins une fin de non-recevoir. Seule modification apportée : les décisions du Chemin synodal ne seront pas contraignantes en elles-mêmes, il dépendra de chaque évêque dans son diocèse d’en décider… ce qui concrètement revient au même.

Voilà donc un concile national mal déguisé qui se tient en Allemagne sans approbation romaine en règle, mais pouvant se couvrir de l’approbation tacite du pape dans sa lettre du 29 juin 2019… Car le Chemin synodal poursuit tranquillement sa route, sans qu’aucune autorité ne s’y oppose formellement.

Que contiennent les documents de travail ?

Le Chemin synodal reprend toutes les conclusions du rapport MHG comme vérités scientifiques indémontables. Sur cette base, il travaille à redéfinir de fond en comble l’Eglise, sa constitution, ses dogmes et sa morale.

Le premier chantier consiste à détruire le pouvoir clérical, et à réorganiser l’Eglise sur le modèle des démocraties modernes, fondées sur la séparation des pouvoirs. Trois principes sont mis en avant : l’égalité radicale entre tous les membres du peuple de Dieu, le sacerdoce commun des fidèles, et le fameux sensus fidei fidelium3. Le rôle du prêtre serait d’être au service du sacerdoce commun des fidèles pour l’évangélisation des peuples, et ne devrait être associé à aucun pouvoir qui puisse faire croire à une quelconque autorité sur les autres fidèles. Il faut donc réorganiser l’Eglise de telle sorte que les pouvoirs de gouvernement et d’enseignement soient exercés par le Peuple de Dieu au travers des structures représentatives où chacun peut faire valoir sa voix.

Le second chantier vise à rayer d’un coup de crayon la morale naturelle. La science moderne et les pratiques sexuelles courantes d’aujourd’hui sont érigées en lieu théologique dans lequel le Peuple de Dieu peut puiser ses principes de conduite comme dans une source fiable de la révélation divine. En conséquence, si le mariage catholique est reconnu comme le meilleur cadre pour l’épanouissement de l’amour humain, il n’est plus permis « raisonnablement » de dénigrer les autres formes que peut prendre l’expression de cet amour. Il s’agit donc de reconnaître clairement le bien-fondé et la bonté intrinsèque qui se trouveraient dans les diverses formes de l’amour humain, en passant par les couples non mariés, les couples divorcés remariés, et surtout les partenariats homosexuels.

Les 3e et 4e chantiers consistent à en finir avec le célibat obligatoire des prêtres, et à ouvrir le ministère sacerdotal aux femmes, à tous les niveaux. A ce sujet, ce n’est même plus la participation des femmes au ministère et aux responsabilités dans l’Eglise qui devrait poser question, mais plutôt leur exclusion.

Jusqu’où ira le Chemin ?

Le Chemin synodal a clairement montré qu’il irait au bout de son processus de destruction, envers et contre tout. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi affirme que l’Eglise ne peut pas bénir les unions homosexuelles? Tollé en Allemagne, où l’on affirme qu’il ne s’agit que d’une opinion qui sera étudiée au sein du Chemin synodal… au même titre que toutes les autres. L’Eglise d’Allemagne va droit vers le schisme, avec sa propre organisation, sa propre « foi », sa propre « morale ». Et que donnera cette expérience à Rome lors de la prochaine assemblée générale du Synode des évêques prévue en 2022 ? Car le thème en est l’Eglise et la synodalité. De quoi craindre le pire.


1. Document de travail, assimilable aux schémas préparatoires servant de base aux discussions lors d’un concile.
2. Assimilable aux commissions préparatoires qui produisent les schémas à discuter lors d’un concile.
3. Sens de la foi des fidèles.
4. Réponse du 15 mars 2021 de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à la question : « L’Eglise dispose-t-elle du pouvoir de bénir des unions de personnes du même sexe ? ».