Dès le 15 octobre 2017, le pape François annonçait la tenue, deux ans plus tard, d’un synode spécial sur le thème « Amazonie, nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale ». Nous y sommes.
Le synode sur l’Amazonie
Le synode, qui sera achevé avant la publication de ce numéro, aura rassemblé 185 pères synodaux parmi lesquels des évêques et archevêques des conférences épiscopales de 9 pays d’Amérique du Sud, des invités spéciaux comme Ban Ki Moon (ancien secrétaire général de l’ONU) et 55 auditeurs et auditrices « spécialistes de pastorale ».
Se revendiquant en droite ligne de l’encyclique Laudato si du 24 mai 2015 sur la sauvegarde de la « Maison commune », il se donne pour fin le discernement des nouveaux chemins par lesquels l’Eglise en Amazonie annoncera l’Evangile de Jésus-Christ dans les prochaines années.
Issu de la compilation des réponses recueillies après une large consultation des communautés d’Amazonie (plus de 87 000 participants), le document de travail officiel du synode (Instrumentum laboris) a été publié le 17 juin 2019 et servira de base aux discussions synodales.
L’Instrumentum laboris
Ce document décrit l’Amazonie comme un lieu idyllique où tout vit en harmonie, en communion avec tout : l’eau, la terre, l’homme, Dieu. Outre les aspects naturels, géographiques et géologiques, la vie intégrale du territoire inclut celle des peuples autochtones, leurs cultes, leurs coutumes et leur rapport à la Mère Nature : c’est un tout. Cette sorte de symbiose à l’état naturel élève – aux yeux des auteurs –le territoire au rang de « lieu théologique », c’est-à-dire une source d’inspiration de la doctrine : « l’Amazonie […] est un lieu qui a un sens pour la foi ou l’expérience de Dieu dans l’histoire. Le territoire est un lieu théologique à partir duquel la foi est vécue : il est aussi une source particulière de la révélation de Dieu »1.
Aussi le texte appelle-t-il à une « conversion écologique intégrale »2 : la « sauvegarde de la maison commune » signifie la sauvegarde des territoires dans leur état d’origine (nature, cultures, cultes...) pour y puiser la révélation de Dieu : « l’Esprit Créateur qui remplit l’univers est celui qui durant des siècles a nourri la spiritualité de ces peuples bien avant l’annonce de l’Evangile et celui qui les conduit à l’accepter au sein même de leurs cultures et leurs traditions. Cette annonce doit tenir compte des "semences du Verbe" présentes dans ces cultures et traditions »3.
Après avoir affirmé les graves blessures infligées à la région amazonienne par la colonisation et par l’Eglise complice des colonisateurs – toujours selon les auteurs – le texte promeut une « Eglise en sortie »4, affirmant que « l’ouverture non sincère à l’autre, de même qu’une attitude corporatiste qui ne réserve le salut qu’à sa propre foi, détruisent cette même foi ».
A ce titre, il demande au clergé « d’approfondir une théologie indo-amazonienne déjà existante, afin de permettre une meilleure et plus grande compréhension de la spiritualité autochtone et ainsi d’éviter de commettre de nouveau les erreurs historiques qui ont détruit de nombreuses cultures indigènes »5.
Tout l’exposé sous-entend que la nature n’est pas blessée par le Péché originel, que la Révélation n’est pas close, que la Tradition et l’Ecriture sainte n’en sont pas les uniques sources, que l’Eglise enfin, n’en est pas l’unique détentrice chargée de la diffuser et de la défendre. Les autres religions et cultures sont présentées comme des semences du Verbe, au même titre que l’Evangile. L’évangélisation serait une œuvre d’enrichissement mutuel dont la pleine réussite dépend du respect de la « vie intégrale » des territoires évangélisés et de la capacité de l’évangélisateur à se faire disciple des « semences du Verbe » présentes bien avant son arrivée.
Sur ces bases, l’Instrumentum laboris propose comme « nouveaux chemins » des pistes inquiétantes parmi lesquelles on peut citer l’introduction d’une liturgie inculturée6 fortement marquée par les usages indigènes païens ; la séparation du sacrement de l’Ordre du pouvoir de gouvernement (sacramentel, judiciaire, administratif) ; l’ordination d’hommes mariés d’une valeur reconnue (pour les zones les plus reculées) ou encore l’identification d’un type de ministère officiel qui peut être conféré aux femmes. Ces chemins sont proposés à l’Amazonie et présentés comme adaptés à toute zone reculée ou manquant de ministres du culte. Doit-on craindre leur généralisation par une exhortation apostolique du même type qu’Amoris lætitia, qui a suivi le synode sur la famille en 2016 ?
Par ce synode et l’approbation officielle de son Instrumentum laboris, le pape François s’inscrit comme l’héritier de Jean-Paul II. Ce dernier, s’appuyant sur l’encyclique Populorum progressio de Paul VI, voulait déjà fonder une civilisation de l’amour qui soit « une rencontre convergente des intelligences, des volontés, des cœurs, vers le but que le Créateur a fixé : rendre la terre habitable pour tous et digne de tous »7, une civilisation où « chargé d’inviter à la conversion, le missionnaire y est invité lui-même »8.
Les conclusions de ce synode ainsi que l’exploitation qui en sera faite méritent donc toute notre attention.
1 - Instrumentum laboris, 1ère partie, ch. II, §19.
2 - Instrumentum laboris, Introduction, §5.
3 - Instrumentum laboris, 3e partie, ch. II, §120.
4 - Instrumentum laboris, 2e partie, ch. VIII, §92.
5 - Instrumentum laboris, 2e partie, ch. VIII, §98.
6 - Enracinée dans la culture locale.
7 - Jean-Paul II, message du 08/12/1982 pour la Journée mondiale pour la Paix.
8 - Jean-Paul II, discours du 13/05/1989 à la Société des Missions Africaines.