En publiant en juillet 1968 l’encyclique Humanae Vitae, le pape Paul VI condamnait l’utilisation des moyens artificiels de contraception et prenait en cela le contre-pied de la commission pontificale d’experts qu’il avait lui-même nommée.
Au terme de cette décennie qui avait vu souffler le vent de la libération des mœurs, il s’en était suivi une vive opposition à laquelle nombre de clercs avaient pris part, conduisant certains d’entre eux, comme Hans Küng, à remettre en cause le dogme même de l’infaillibilité pontificale.
Un demi-siècle plus tard, ce texte structurant du catholicisme au XXe siècle se voit battu en brèche par ceux-là même qui ont pour mission d’en prêcher la doctrine. En expliquant que «la question n’est pas celle d’un changement de doctrine mais d’un travail en profondeur qui fasse en sorte que la pastorale tienne compte des situations et de ce que les gens sont en mesure de faire», le pape François semble ouvrir grand la voie aux détracteurs d’Humanae Vitae qui viennent de trouver, en la personne de Don Maurizio Chiodi, le précurseur des bouleversements à venir de la morale familiale.
Don Chiodi est auteur d’un livre publié en 2006, Ethique de la vie, dans lequel il défend la licéité de la procréation artificielle. Il est également, depuis peu, membre de l’Académie pontificale pour la vie et professeur de théologie morale à la Faculté théologique d’Italie septentrionale que dirige le jésuite argentin Humberto Miguel Yanez. Dans le cadre de rencontres organisées par ce dernier pour célébrer le cinquantenaire de l’encyclique, il a donné le 14 décembre 2017, à l’Université Grégorienne, une conférence intitulée «Relire Humanae Vitae à la lumière d’Amoris Laetitia» et dont le maître-mot est «changement de paradigme.»
Fin janvier 2018, Avvenire, le quotidien de la Conférence Episcopale italienne, publiait l’intégralité de la conférence et l’assortissait d’une glose déférente : «cette position s’insère avec autorité dans le débat en cours. […] Il faut comprendre la réflexion de ce théologien comme une proposition qui entend représenter le développement d’une tradition. Et une tradition, pour être vivante et continuer à parler aux femmes et aux hommes de notre temps, ne doit pas être sclérosée mais dynamisée, c’est-à-dire rendue cohérente avec une société qui est en pleine mutation. Don Chiodi a le courage de définir le problème qui se pose depuis des décennies aux théologiens et aux experts en pastorale. Les méthodes naturelles sont-elles vraiment la seule voie possible de planification des naissances ?».
Sauf à considérer que cette formule interrogative résulte d’une erreur typographique, et même si Don Chiodi a pris soin d’inscrire sa réflexion dans la dynamique d’Amoris Laetitia dont nous avons traité tant et plus dans les précédents numéros de Famille d’abord («responsabilité subjective de la conscience» et «rapport constitutif entre norme et discernement»), il est manifeste qu’une page s’est tournée depuis ce discours de 1988 où Jean-Paul II rappelait le caractère intangible de la doctrine d’Humanae Vitae :
«Il ne s’agit pas d’une doctrine inventée par l’homme : elle a été inscrite par la main créatrice de Dieu dans la nature même de la personne humaine et a été confirmée par lui dans la révélation. La remettre en question revient donc à refuser à Dieu lui-même l’obéissance de notre intelligence. Cela revient à préférer les lumières de notre raison à l’éclat de la sagesse divine et à tomber dans l’obscurité de l’erreur pour finir par porter atteinte à d’autres piliers fondamentaux de la doctrine chrétienne. […] Pendant ces années, à la suite de la contestation d’Humanae vitae, on a remis en question la doctrine chrétienne de la conscience morale elle-même, en acceptant l’idée d’une conscience créatrice de la norme morale. De cette façon, on a radicalement rompu ce lien d’obéissance à la sainte volonté du Créateur qui est constitutif de la dignité même de l’homme. La conscience, en fait, est le lieu dans lequel l’homme est illuminé par une lumière qui n’est pas issue de sa raison créée et toujours faillible, mais de la sagesse même du Verbe, dans lequel tout a été créé. […] Paul VI, en qualifiant l’acte contraceptif d’intrinsèquement illicite, a voulu enseigner que la norme morale est telle qu’elle n’admet pas d’exception : aucune circonstance personnelle ou sociale n’a jamais pu, ne peut et ne pourra jamais justifier un tel acte. L’existence de normes particulières par rapport aux actes de l’homme dans le monde, ayant une telle force contraignante qu’elles excluraient toujours et dans tous les cas la possibilité d’exceptions, est un enseignement constant de la Tradition et du magistère de l’Eglise qui ne peut être remis en question par les théologiens catholiques.»
Nous ne pouvons que constater que le successeur de Paul VI et de Jean-Paul II ne fait rien pour remédier à cette confusion qui envahit l’Eglise. Un acte intrinsèquement mauvais hier ne peut devenir bon aujourd’hui par la seule action du temps qui passe et des transgressions des hommes.
Comme l’écrit Sandro Magister, vaticaniste à l’Espresso, François «laisse courir les interprétations les plus disparates, aussi bien conservatrices qu’ultra-progressistes sans jamais condamner explicitement personne. L’important pour lui c’est de ‘jeter la graine pour que la force se déchaîne’, et de ‘mélanger le levain pour que la force fasse grandir’, selon les termes qu’il a lui-même utilisés dans une homélie à Sainte-Marthe. Et ‘si je me salis les mains, Dieu soit loué ! Malheur à ceux qui prêchent avec l’illusion de ne pas se salir les mains. Ceux-là sont des gardiens de musée’. Pascal, le philosophe et l’homme de foi que François déclare vouloir béatifier, avait eu des paroles incendiaires pour les jésuites de son époque qui jetaient en pâture leurs thèses les plus audacieuses pour faire en sorte qu’elles prennent peu à peu racine et qu’elles deviennent la pensée commune. C’est exactement ce que fait aujourd’hui le premier pape jésuite de l’histoire : il met en route des ‘processus’ dans lesquels il sème les nouveautés qu’il souhaite à terme voir triompher. »