Loin de répondre aux Dubia, le pape François utilise Amoris laetitia comme outil de promotion de ceux qui en assureront l’application
Un an jour pour jour après que les Dubia ont été adressés au pape François par quatre cardinaux pour obtenir des éclaircissements sur les termes de l’exhortation apostolique Amoris laetitia, la salle de presse du Vatican a rendu public, le 19 septembre 2017, le motu proprio Summa familiae cura par lequel le pape remplace l’Institut pontifical Jean-Paul II d’études sur le mariage et la famille par l’Institut pontifical théologique Jean-Paul II pour les sciences du mariage et de la famille. Aucun des membres actuels n’est assuré d’être reconduit dans la nouvelle version de cet institut, à l’exception notable de son Grand Chancelier, Mgr Vincenzo Paglia, fervent soutien d’Amoris laetitia. Il est également prévu que le corps professoral se trouve «enrichi» par l’arrivée d’experts non-catholiques.
Deux semaines plus tôt décédait celui qui avait fondé cet Institut au nom de Jean-Paul II et qui en fut quatorze ans durant le premier Président. Celui-ci n’était autre que… le cardinal Caffara, chef de file des quatre signataires des Dubia.
L’institut pontifical Jean-Paul II se caractérisait par des positions «conservatrices», son acte constitutif prenant Humanae Vitae2 pour référence et sa création intervenant dans le même cadre que la publication de Familiaris Consortio3.
S’agissant de l’initiative du pape François, la Conférence des Evêques de France s’est aussitôt félicitée de ce «bel envol», de la «belle créativité» à laquelle encourage Amoris Laetitia et du «souffle nouveau» qu’elle offre aux études théologiques et pastorales au service de la vie familiale et conjugale. C’est la raison pour laquelle nous proposons ci-dessous à votre lecture l’analyse4 très claire que Jeanne Smits porte sur cet événement :
Le Motu proprio Summa familiae cura dans la droite ligne d’Amoris laetitia
S’il faut insister sur le fait que cette attitude n’a rien de nouveau, les réponses apportées par Amoris laetitia sont, elles, en rupture en ce qu’elles refusent de parler d’«unions irrégulières» sans y mettre des guillemets de précaution, et qu’elles demandent une attitude plus ouverte, y compris pour l’accès aux sacrements des couples de divorcés remariés. Dans un premier temps… Le nouveau Motu proprio repose sur ce principe d’attention aux situations concrètes ; il cite largement Amoris laetitia et insiste sur «le changement anthropologique et culturel» actuel qui requiert de nouvelles réponses. On veut regarder «la réalité de la famille aujourd’hui, dans toute sa complexité, dans ses lumières et ses ombres». Fort de tout cela, le pape François a décidé de son propre mouvement de modifier les attributions de l’Institut Jean-Paul II sur le mariage et la famille, notamment en modifiant son titre : l’Institut théologique Jean-Paul II pour les sciences du mariage de la famille aura un champ d’intérêt plus large avec «le développement des sciences humaines et de la culture anthropologique dans un domaine aussi fondamental pour la culture de vie».
Sociologie, écologie : l’Institut Jean-Paul II entraîné sur la pente
Remplacement, donc, et d’emblée, référence au souci écologique. L’article 2 de Summa familiae cura l’explicite : «Le nouvel Institut sera, dans le contexte des institutions pontificales, un centre académique de référence, au service de la mission de l’Eglise universelle, dans le domaine des sciences qui ont un rapport avec le mariage et la famille, et par rapport aux thèmes associés à l’alliance fondamentale de l’homme et de la femme pour la garde et la génération de la création». Le tout en lien étroit avec l’université pontificale du Latran. De nouveaux statuts sont annoncés ; en attendant, ceux de l’Institut Jean-Paul II restent provisoirement en vigueur «pour autant qu’ils ne sont pas contraires au présent Motu proprio». Si dans l’ensemble, les articles de Summa familiae cura ne laissent pas présager avec certitude une révolution par rapport à ce qu’a fait jusqu’ici l’Institut Jean-Paul II pour le mariage et la famille – profondément attaché depuis le début à la plus solide doctrine du mariage et des obligations morales qui s’y attachent – c’est le préambule qui donne le ton et qui laisse comprendre la volonté de modifier l’approche pastorale en tenant compte non plus de cette réalité du mariage qu’Amoris laetitia qualifie volontiers d’«idéale», mais de la multiplicité des situations et de la volonté de considérer le «bien» qui se trouve dans chacune d’entre elles. C’est la fameuse approche «analytique et diversifiée» d’Amoris laetitia que le Motu proprio reprend à son compte.
Amoris laetitia, nouvelle Magna Carta
Mgr Vincenzo Paglia, actuel Grand chancelier de l’Institut pontifical Jean-Paul II, a salué les modifications apportées par le pape François lors d’un point de presse à la Salle de presse du Vatican, les résumant avec ces mots révélateurs : «Amoris laetitia devient la nouvelle Magna Carta.» C’est dire que l’Exhortation post-synodale, loin d’être un simple encouragement aux familles, est considéré, est utilisé comme un document fondateur, en vue d’un changement fondamental.
«Pour le pape François, la famille n’est pas simplement un idéal abstrait : ce sont toutes les familles, sans distinction, qui doivent être aidées et accompagnées afin de redécouvrir leur mission historique, que ce soit dans l’Eglise ou dans la société, et cela lie l’Institut de manière particulière au dernier synode», a indiqué Mgr Paglia, promoteur à titre personnel de la communion pour les divorcés remariés dès avant sa nomination à la tête du conseil pontifical pour la famille, puis de l’Académie pontificale pour la vie et de l’Institut Jean-Paul II.
L’approche sociologique, il ne faut jamais l’oublier, est aux antipodes de l’approche normative et juridique dont on peut supposer qu’elle sera mise au ban par les hautes sphères de cet Institut bouleversé par la rénovation. «Tanti saluti à Wojtyla et Caffarra», titre Sandro Magister, évoquant ce nouveau «tremblement de terre». Adieu, salut les amis, tant pis pour eux : l’expression italienne veut dire tout cela.
Le cardinal Caffarra n’aura pas eu le temps d’apprécier le désastre…
Décembre 2017