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La République au-dessus de tout ?

Focus sur le projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Concorde Assemble Nationale r

Afin de lutter, une nouvelle fois sans le nommer, contre le radicalisme musulman, le gouvernement a présenté en décembre dernier un projet de loi contre le séparatisme. Il a pour but de lutter contre tous ceux qui agissent et vivent en dehors des « valeurs de la République ». De nombreux domaines sont ainsi concernés : neutralité du service public, haine en ligne, contrôle financier renforcé des associations cultuelles, police des cultes, contrôle des associations délivrant des reçus fiscaux, resserrement de l’autonomie pédagogique et du contrôle financier des établissements hors contrat, fermeture administrative et non plus judiciaire des établissements hors contrat ouverts illégalement. Et une mesure-phare : l’interdiction de l’école à la maison.
 
A l’heure où nous écrivons, le texte a été voté en première lecture au Parlement, une seconde lecture est prévue mais l’ensemble du texte devrait être adopté pour l’été.

Nous avons interrogé Thierry Reveau de Cyrières, juriste de métier, vice-président et conseil juridique du MCF, sur les aspects néfastes de cette loi qui peuvent avoir un impact sur nos familles.

Thierry Reveau de Cyrières, selon vous et globalement, quels sont les réels dangers de cette loi pour nous, familles ?

Sous couvert de lutter contre l’islamisme radical, ce projet de loi va réduire la liberté des familles dans plusieurs domaines avec des atteintes à la liberté de choisir le mode d’éducation à donner à leurs enfants, qu’il s’agisse de l’école à la maison ou les atteintes portées à l’autonomie des établissements hors contrat, ainsi que le contrôle accru de l’Etat sur les associations cultuelles qui peut créer un risque pour la liberté de culte comme l’a fait remarquer, à juste titre, la conférence épiscopale française. Ce texte est présenté par le Premier ministre comme une loi d’émancipation contre les fondamentalismes. Il vise à ériger la laïcité comme rempart contre le séparatisme islamiste alors que celui-ci a pu plus facilement se développer dans le vide spirituel créé par cette même laïcité.

Y a-t-il un danger pour la liberté de culte ?

La loi ne remet pas en cause la liberté du culte qui est une liberté de rang constitutionnel mais accroît le contrôle de l’Etat sur les associations cultuelles qui gèrent les aspects matériels du culte. Le projet de loi renforce la tutelle existante en matière financière sur ces associations et donne aux préfets la possibilité de procéder à la fermeture administrative des lieux de culte en cas de non-respect de la législation. Une telle mesure pourra aussi être prononcée notamment si des propos considérés comme inadéquats sont prononcés dans leurs enceintes. Interprétée de façon stricte, une telle disposition donnerait au gouvernement en place, par l’intermédiaire des préfets, la possibilité de censurer certains rappels de la morale traditionnelle, comme la condamnation des pratiques contre nature par exemple.

Quel avenir pour la liberté d’enseignement ?

Sur la liberté de l’enseignement, la loi franchit une nouvelle étape : c’est le troisième texte du quinquennat qui restreint la liberté des familles. Après la loi Gatel de 2018 qui a restreint les possibilités d’ouverture de tels établissements, après la loi Blanquer de 2019 qui a rendu la scolarité obligatoire dès 3 ans, voici une loi qui veut restreindre la liberté de l’enseignement. L’interdiction de l’école à la maison a été présentée par Emmanuel Macron dans son discours des Mureaux du 2 octobre 2020 comme une des mesures emblématiques de sa présidence, qu’il n’a pas hésité à comparer à la réforme de Jules Ferry de 1882, instituant l’école laïque, gratuite et obligatoire, oubliant peut-être que la loi de 1882 autorise expressément l’école à la maison. Le projet de loi comprend aussi des mesures sur les écoles hors contrat, présentées comme étant nécessaires pour lutter contre les écoles musulmanes clandestines mais qui ont pour effet de restreindre la liberté de toutes les autres.

A propos de ces écoles, quelles sont les mesures envisagées ?

Sur le régime applicable aux écoles hors contrat, la future loi accroît le contrôle de l’Etat avec une possibilité pour les préfets de procéder, en cas de non-respect de la réglementation, à la fermeture administrative des établissements au lieu de devoir demander cette fermeture aux tribunaux. L’autonomie pédagogique accordée aux établissements hors contrat sera réduite, la future loi faisant notamment davantage référence aux socles de connaissances devant être acquis à certaines étapes de la scolarité. Le Sénat a apporté dans la discussion d’utiles tempéraments au texte voté par les députés. Les modifications imposées au fonctionnement de l’école à la suite d’une inspection devront être communiquées avec précision et le directeur disposera d’un délai d’un mois pour s’y conformer. Les contrôles diligentés par l’Education nationale ne devront pas concourir à aligner les programmes, les supports et les méthodes sur ceux en vigueur dans les établissements publics ou privés sous contrat. Cela dit, il est loin d’être sûr que le Sénat soit suivi par les députés.

Enfin sur l’école à la maison, y a-t-il un espoir du côté du Sénat ?

Lors de la discussion du texte en première lecture dans les assemblées, l’interdiction de l’école à la maison a été le sujet le plus discuté. Députés et sénateurs ont adopté sur cette question des positions divergentes : l’Assemblée nationale a voté l’interdiction proposée par le Gouvernement tout en y apportant de légers tempéraments cosmétiques et, ce qui est plus important à court terme, une mise en vigueur progressive de la réforme. Aussi cette interdiction ne s’appliquera-t-elle qu’à partir de la rentrée de 2022 et l’autorisation que doit donner l’académie sera même accordée de plein droit pour les années scolaires 2022-2023 et 2023-2024 aux enfants régulièrement instruits dans la famille avant 2022. Ce différé accordé dans l’application du texte a été concédé de mauvaise grâce par le ministre de l’Education nationale pour éviter un rejet de la mesure qui a suscité des réserves de la part de certains parlementaires alliés de la République en Marche. Le Sénat est revenu sur cette interdiction tout en renforçant le contrôle de l’Etat sur les familles donnant l’instruction à leurs enfants. Espérons que son point de vue l’emporte mais c’est tout sauf certain. Selon toute vraisemblance, la commission mixte paritaire Assemblée-Sénat dont le rôle est de concilier les points de vue des deux assemblées sur l’ensemble du texte ne parviendra pas à un accord. Une nouvelle lecture du texte à l’Assemblée et au Sénat en juin et en juillet devrait précéder avant les vacances d’été un ultime vote de l’Assemblée nationale à qui la Constitution reconnaît le droit de statuer définitivement. Il n’est toutefois pas exclu que celle-ci n’infléchisse quelque peu sa position sur l’école à la maison pour pallier le risque de censure d’une telle interdiction par le Conseil constitutionnel.

Selon vous, quelles actions demeurent envisageables pour retarder cette loi ?

Il faut continuer à se mobiliser. La contestation de l’interdiction de l’école à la maison a été portée par de nombreux parlementaires. Cela montre que c’est un sujet qui recueille un certain écho dans l’opinion. Plus nous serons nombreux à écrire à nos élus, ou mieux encore à les rencontrer, plus ceux-ci verront que ce projet passe mal. Sur le renforcement du contrôle de l’Etat sur les écoles hors contrat, les mesures envisagées sont assez techniques et le relais est pris par des organismes spécialisés comme la Fondation pour l’école mais rien n’empêche bien sûr les parents d’élèves de se manifester. La dernière salve contre le projet consistera à préparer la saisine du Conseil constitutionnel. Plusieurs juristes s’y attellent déjà et la décision que rendra cette institution sera très importante pour la liberté de l’enseignement en France, sans parler des futures règles applicables aux associations cultuelles. Le débat est donc loin d’être clos.