Quel programme politique pour une restauration chrétienne ?

 

Ah, cette fameuse question du programme ! Débat éternel au sein des familles, hantise des hommes politiques qui craignent de s’engager, lubie des médias qui y traquent la moindre conviction un peu trop affirmée… Sujet délicat en apparence, mais si simple en réalité, et déjà maintes fois réglé au cours de l’Histoire. Un programme chrétien, c’est un programme inspiré des principes chrétiens et garantissant la collaboration des pouvoirs civils et de l’Eglise. Cela dit, rentrons dans le détail.Charles vii courronement Panthon III

Le premier des principes est l’union de l’Eglise et de l’Etat. En résumé, voici ce que devraient être les rapports entre ces deux sociétés. La société civile et la société religieuse sont deux sociétés réellement distinctes et indépendantes dans leur sphère propre : ainsi, la société civile, bien que distincte de l’Eglise, société religieuse, doit lui être unie dans l’ordre naturel et subordonnée dans l’ordre surnaturel. La raison de cette union et de cette subordination est la volonté expresse de Jésus-Christ qui impose l’ordre surnaturel non seulement aux individus et aux familles mais aux sociétés elles-mêmes. Mgr Pie, cherchant la cause de cette volonté, la trouve en Jésus-Christ lui-même, Dieu et homme. Jésus-Christ, type et modèle de l’union de l’Eglise et de l’Etat. De même qu’en Jésus-Christ, la nature divine et la nature humaine sont distinctes, sans se confondre, conservant chacune, sans altération, leurs qualités et leurs opérations, unies indissolublement sans jamais se séparer en la personne du Fils de Dieu, ainsi la société chrétienne est constituée de deux éléments : l’Eglise et l’Etat, qui doivent être distincts, non confondus ; unis, non séparés. Ajoutons que les deux natures du Christ étant inégales et par conséquent subordonnées, l’humaine à la divine, les deux éléments de la société chrétienne doivent être de même subordonnés, l’Etat à l’Eglise.

Ce principe étant fixé, observons l’ébauche rapide du programme politique chrétien que rappelle le cardinal Pie :

  • proclamation officielle des droits de Dieu, de Jésus-Christ et de l’Eglise ;
  • législation conforme à la morale chrétienne ;
  • enseignement placé sous la haute direction doctrinale de l’Eglise.

Cette ébauche passe évidemment par l’abandon complet des principes de la Révolution. A la tête de toute Constitution, trône la phrase : «La religion catholique est la religion du pays et de ses institutions. Les citoyens qui professent les autres cultes jouiront de toutes les garanties accordées par la loi». Mgr Pie demandait une alliance plus intime du Pouvoir civil avec l’Eglise, un concordat plus parfait que celui de 1801. Cette position, qui choque volontiers aujourd’hui, y compris certains catholiques, trouve cependant certains exemples historiques pas si anciens : le concordat de Rome avec l’Autriche, en 1858, en fait partie. Ce concordat était vu par l’évêque de Poitiers comme «Un traité régénérateur dont l’application et l’extension seraient le coup de grâce pour la Révolution». Ennemi de la politique de «l’amnistie du mal et de ses partisans», le cardinal Pie voulait que le Pouvoir civil affirmât énergiquement «l’emploi de la force au service de l’ordre et de la justice». Par cet ordre et cette justice, l’Evêque de Poitiers entend l’ordre chrétien, la justice et la morale chrétiennes. De là, pour le Pouvoir, le devoir rigoureux de reconnaître et favoriser les lois chrétiennes : la sanctification du dimanche, réprimer les publications obscènes, les spectacles immoraux, les blasphèmes de la presse, proscrire les sociétés secrètes. Il ajouterait aujourd’hui, l’obligation formelle d’abolir et d’interdire les lois impies du divorce, de l’avortement, des unions contre-nature, de l’euthanasie, de la neutralité scolaire, de la proscription des congrégations religieuses et de la spoliation des biens d’Eglise.

Conversion de st AugustinSi nos chefs s’élevaient à cette sublime doctrine, alors, au lieu de proclamer la France une grande puissance musulmane, ils feraient de la France l’aide de l’Eglise dans son apostolat. Mais comment l’Etat pourra-t-il pratiquement contribuer à la diffusion de la vie catholique et favoriser la conversion des incroyants et tout spécialement des musulmans ? Sur ce point, en plus de la recommandation de multiplier les œuvres charitables, citons les passages suivants empruntés à deux écrivains catholiques qui ont étudié cette question en profondeur. Les solutions pratiques qu’ils suggèrent cadrent merveilleusement avec les procédés charitables de l’Eglise. René Bazin, tout d’abord : «Faut-il chercher à convertir les musulmans et à faire d’eux des chrétiens ? La formule serait ambiguë, elle ne préciserait point de quelle manière lente, douce et fraternelle une telle conversion, si Dieu le permet, doit s’accomplir. Mieux vaut dire ceci : il faut que la France, chargée d’une nombreuse famille coloniale, prenne enfin conscience de toute sa mission maternelle et que les musulmans, comme les païens sujets d’une grande nation catholique par son histoire, par son génie, par toute son âme et par ses épreuves mêmes, puissent connaître le catholicisme et y venir s’ils le veulent». (Vie de Charles de Foucauld). Louis Veuillot, ensuite : «Quand la conquête déterminée par une raison humaine est opérée, le meilleur moyen de la justifier, de la rendre plus douce et de la consolider est de diriger la force de telle sorte qu’elle aide aux conquêtes de la religion. Sans dire au vaincu : crois ou meurs, ni même, ce qui est moins dur et plus excusable : crois ou va-t’en ; sans lui demander en aucune façon l’abandon de son culte, la simple politique du bon sens conseille de lui faciliter tous les moyens d’y renoncer, et quand la religion du vainqueur est la religion chrétienne, c’est-à-dire la vérité divine ; quand la religion du vaincu est l’islamisme, c’est-à-dire un amas de dogmes abrutissants et sauvages, ces efforts que le bon sens conseille, l’humanité ne les exige-t-elle pas ? N’est-ce pas le premier des devoirs de mettre la religion à même de travailler, par les moyens qui lui sont propres, par la prédication et les bonnes œuvres, à la conversion des vaincus ? Serait-ce un préjudice d’ajouter à son action les mesures d’administration qu’elle pourrait indiquer, d’ouvrir des écoles religieuses, d’accorder quelques faveurs aux néophytes, de combattre dans les mœurs et dans les coutumes ce qui s’opposerait le plus à un changement désirable sous tant de rapports ? Voilà tout ce que j’entends par la force» (Les Français en Algérie).

Constitution chrétienne, union très parfaite de l’Eglise et de l’Etat, appui donné par le pouvoir aux lois de l’Eglise, législation civile strictement conforme aux règles morales de l’Evangile, politique extérieure ayant pour but l’expansion et le rayonnement du christianisme dans le monde : nous avons ainsi un programme social complet réalisant pleinement la prière du Christ : «Que votre règne arrive sur la terre comme au ciel !» Complet ? Oui, puisque, faut-il le rappeler, un bon programme politique, tout comme un bon système législatif, doit respecter les règles suivantes : clarté, simplicité, concision. Le domaine du politique est le régalien, ni plus ni moins. Pour le reste, l’Etat n’est présent que pour donner un cadre et contrôler, y compris en matière économique, qui reste l’affaire des corporations. Et pour les questions de détail, un bon exercice de l’exécutif, tout comme un bon exercice du législatif et du judiciaire, s’appuie, en vertu du principe de subsidiarité, sur les maillons de la chaîne hiérarchique les plus à même de régler les problèmes. Autrement dit : celui qui se trouve au plus près du problème. Voilà pour les règles nécessaires. Charge à ceux qui exerceront le pouvoir d’adapter les règlements contingents aux besoins circonstanciés du moment.

Suite : Réponse aux objections et préjugés politiques classiques concernant l'établissement d'un pouvoir chrétien