On s’aperçoit donc clairement que l’on ne peut pas séparer les notions d’engagement et de sacrifice. Celui qui s’engage accepte de se donner, de céder l’usage de sa personne : il accepte donc de sacrifier une partie de lui-même, de se sacrifier. Et ce sacrifice est justement motivé puisqu’il l’est par la recherche, par l’ambition d’un bien supérieur.
Ce qu’on sacrifie de soi-même peut être plus ou moins grand, en fonction du contrat passé au départ ; le sacrifice exigé est donc plus ou moins grand ; on remarque cependant que plus la cause envers laquelle on s’engage est élevée et plus le sacrifice sera important, plus il aura de valeur ; plus elle est exigeante et plus l’engagement sera total. Le prix à payer correspond à la valeur du bien désiré : on peut dire de la sorte qu’il y a une économie de l’engagement.
Il est également indispensable de préciser que, de même qu’on ne peut séparer engagement et sacrifice, on ne peut non plus séparer engagement et amour. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ce(ux) qu’on aime : on ne se donne qu’à ce(ux) qu’on aime. Par conséquent, deux réalités se dégagent aisément : l’amour est une condition sine qua non de l’engagement et se donner est un besoin d’amour.
Par exemple, l’engagement du soldat ne diffère pas de celui du mercenaire : tous deux s’engagent par amour. Mais le soldat s’engage par amour de la patrie, le mercenaire par amour de l’action ou par celui de l’argent. Pareillement, un homme ne s’engage qu’envers une femme qu’il aime : envers une femme qu’il n’aime pas vraiment, il ne s’engagera pas ; et s’engager envers une femme lui est également impossible quand ce n’est que lui qu’il aime… Aussi, pour être capable de se sacrifier au service de quelque chose ou de quelqu’un, il faut que l’on estime cette chose, ou le bien de cette personne, comme supérieur au nôtre et justifiant le sacrifice consenti. Pour être capable de se sacrifier pour quelque chose ou pour quelqu’un, il faut donc aimer.
Ensuite, l’amour ayant pour fin le bien de l’objet aimé, c’est par le don qu’il se concrétise surtout. La preuve, le gage de l’amour, c’est le don : en effet, celui qui aime éprouve le besoin de manifester concrètement cet amour auprès de l’objet aimé, d’en donner des preuves tangibles. Il ne le fera pas autrement que par le don. Et plus cet amour sera grand, plus le don le sera aussi : ce qui explique qu’un amour total entraîne un don total de soi.
S’engager signifie également donner un gage, une preuve, un témoignage : si donc l’engagement, comme on l’a vu, est le don de soi, l’engagement n’est pas le gage d’autre chose, ne prouve pas autre chose que l’amour même qui l’inspire et le motive.
Si l’on a donc pu établir une correspondance étroite entre la grandeur d’une cause et celle du don de soi, du sacrifice qu’elle exige, une correspondance non moins étroite existe entre la grandeur de l’amour qu’on a pour une cause, ou une personne, et celle du don qui en découle. Ce qui signifie, pour conclure ce point, que la générosité d’un engagement est due non seulement à la grandeur de la cause ou de la personne défendue, mais aussi à celle de l’amour qu’on porte à la cause ou à la personne envers laquelle on s’engage. Dernière relation qui s’explique encore par ce qu’on a déjà dit mais qu’on peut rappeler : celui qui aime fait dépendre son bonheur de celui de l’objet aimé ; rien ne lui sera donc plus cher que le bien de cet objet, pour lequel il est prêt à se donner totalement.