Puissé-je en arrivant à la fin de ma vie
Heureux comme un marin en débarquant au port,
Chanter auprès de Vous, Sainte Vierge Marie :
« Le plus beau de mes jours fut celui de ma mort ! »
Ces mots écrits par un heureux arrière-grand-père expriment la sérénité avec laquelle il abordait sa vieillesse. Tel est le regard chrétien qui considère le grand âge comme une bénédiction, le « couronnement des étapes de la vie »1. L’Eglise en effet a toujours considéré la vieillesse comme un don de Dieu et un signe de sagesse. C’est au vieillard Siméon et à la prophétesse Anne qui « était fort avancée en âge »2 qu’il a été donné de « voir l’Oint du Seigneur »3. C’est leur voix remplie de la sagesse de l’Esprit-Saint qui a prophétisé les souffrances de Jésus et de Marie et a « parlé de l’Enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance d’Israël »4.
Sans « dévaluer les peines du grand âge, ses fragilités, ses maladies… », le pape Jean-Paul II avait exhorté les personnes âgées à considérer la vieillesse « dans une lumière pacifiante, à la lumière de Notre-Seigneur qui pour nous a connu la sueur de sang, pour nous a été flagellé, pour nous a été couronné d’épines »5. Sous l’éclairage de la méditation des souffrances de notre Sauveur, la personne âgée peut ainsi spirituellement reconstruire sur la pratique des vertus chrétiennes la pyramide qui humainement tend à s’effondrer.
Sur le constat de ses propres faiblesses, accompagnant Jésus dans son agonie, la personne âgée, plus étroitement que tout autre individu, connaît les angoisses et les craintes liées à l’approche de la mort. Cependant, ce temps reste une grâce pour parfaire le livre de l’existence, déjà riche de très belles pages, ou en tout cas d’en assurer au mieux la conclusion. Le fruit demandé dans la méditation de ce premier mystère douloureux est le regret de nos fautes ; c’est bien le fruit à faire mûrir tout particulièrement à l’automne de la vie, dans une grande humilité et dans l’espérance de la résurrection.
Les mille misères physiques de la vieillesse rapprochent la personne âgée de Jésus flagellé. Comme le divin Sauveur, elle souffre dans son corps et, s’il est dur parfois d’offrir ses peines lorsqu’on en est accablé, que l’entourage n’ait pas peur de rappeler cette nécessité au proche qui souffre, voire d’offrir pour lui ses propres souffrances. La mortification des sens, vertu demandée comme fruit de ce mystère est le lot de la vieillesse. C’est une grâce de choix car Dieu éprouve ceux qu’Il aime ; mais n’oublions jamais que la souffrance peut lasser et décourager. L’entourage a donc un rôle capital d’encouragement et d’accompagnement.
Couronné d’épines et bafoué, Jésus est mis au ban de la société. A moindre échelle, certes, mais de façon quelque peu comparable, la personne âgée est souvent écartée de la vie qui l’entoure. Cette épreuve est très mortifiante pour l’orgueil et la fierté humaine. Alors, dans un esprit que Dieu seul peut donner, les personnes âgées doivent s’armer de compréhension, même envers ceux qui mettent à l’épreuve leurs souffrances par leur négligence, leur manque d’attention ou leur insouciance et savoir pardonner à ceux qui aggravent leur douleur ; qu’ils aient pour eux cette prière : « Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font »6.
La patience et la résignation sont les vertus qui transforment la vieillesse en un vrai chemin de Croix et la personne âgée en Simon de Cyrène uni à son Rédempteur. La sagesse de la vieillesse « fait dire oui à Dieu, à nos limites, à notre passé, avec ses illusions, ses défaillances et ses péchés. En effet, nous savons que ‘ tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu ’ »7.
Patience et résignation : loin d’être la forme affaiblie d’une perte quelconque de force ou de conviction, ces deux vertus humaines concourent tout au contraire à la pratique de la sainte espérance.
Enfin, parce que la charité est le « lien de la perfection », il n’y a pas de plus grande vertu à pratiquer, tout particulièrement dans la vieillesse, que celle de l’Amour de Dieu qui conduit naturellement au désir de sauver les âmes. « Le Créateur a fait de telle sorte que, dans la vieillesse, se préparent, se facilitent et s’exercent une acceptation et une compréhension de la mort » ; beaucoup, une fois arrivé le grand âge « ont perdu la proximité visible de leur compagnon de vie (…) qu’ils fassent alors en sorte que de plus en plus consciemment, Dieu devienne le partenaire de leur vie »8. Dit autrement : leur ultime soutien et leur dernier ami.
Comme le dit le cérémonial du baptême, qu’ils soient « d’autres Christ », s’offrant à Dieu pour le salut du monde…
Suite : Et concrètement ?