« Il y a quelques années, je me suis aperçu que j’avais de plus en plus de difficulté à lire des livres ou de longs articles. Après avoir parcouru quelques paragraphes, mon esprit était complètement ailleurs. J’avais de plus en plus de mal à me concentrer sur une tâche exigeante ou à ne faire qu’une seule chose à la fois. Je ne réfléchissais plus de la même manière ; j’ai eu alors l’impression que mon cerveau était en train de changer. J’ai fini par arriver à la constatation effarante que toute lecture approfondie était devenue ardue pour moi. » Tel est le constat effrayant posé par Nicolas Carr, journaliste et essayiste américain, spécialiste des nouvelles technologies et auteur d’un blog célèbre et du livre Internet rend-il bête ?
Bien que le monde scientifique manque encore de recul quant à l’effet du numérique sur le cerveau et sur la santé en général, des voix s’élèvent pour pointer les effets de l’usage de l’internet et des écrans sur le cerveau et particulièrement sur le développement de celui des enfants.
Le chercheur américain Howard Rheingold, qui s’est spécialisé dans l’étude de l’impact des nouvelles technologies sur notre société, estime que l’utilisation de l’internet favorise « la superficialité, la crédulité et la distraction » parce que notre attention a du mal à se discipliner. De plus, selon le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi de l’université de Claremont, « l’omniprésence de l’information nous rend moins susceptibles de faire appel à notre réflexion avant d’avoir recours à l’internet ». Selon ces chercheurs, il semble donc que l’utilisation abusive de l’internet entraîne une modification de la pensée qui s’habitue à « zapper » et diminue la faculté de concentration. Or cette faculté est primordiale pour l’utilisation correcte des sens et de l’intelligence.
Notre cerveau adulte subit donc déjà des effets de l’utilisation abusive de l’internet et des écrans. Qu’en est-il alors de celui des enfants qui est en plein développement ? C’est ici que les deux conférences déjà citées apportent opportunément leurs lumières.
La menace physiologique
La première d’entre elles, dans l’ordre chronologique, fut celle du docteur H.P. qui a d’abord rappelé que l’enfant possédait naturellement des fenêtres d’acquisition de ses différentes facultés. Par exemple, l’enfant est prédisposé à l’apprentissage de la marche entre 10 et 22 mois. Mais ce phénomène peut être décliné dans tous les domaines : apprentissage du langage, de la lecture, etc. Or, c’est pendant ces périodes cruciales pour leur développement que certains enfants sont laissés devant les écrans.
Alors que la lecture d’un livre entraîne une pensée logique linéaire, l’écran favorise la pensée « zapping » : le cerveau effectue en permanence des tâches mais ne les achève jamais, ce qui entraîne des troubles de l’attention et de la concentration. Sur ce point, différents témoignages d’éducateurs concordent : les enfants possèdent moins de connaissances qu’il y a une dizaine d’années, sont plus nerveux et ont davantage de mal à se concentrer. Il existe une étude américaine qui a montré la chute des résultats scolaires des enfants à partir d’une utilisation d’écrans de 30 minutes par jour. Au-delà de 4 heures par jour, le niveau scolaire baisse d’une année. Chez les plus gros utilisateurs, l’étude pointe des difficultés à s’endormir et des problèmes de concentration, ce qui bien sûr nuit à l’apprentissage. Le docteur P. conclut en rappelant la nocivité particulière de l’écran sur l’enfant de moins de trois ans : il contrarie le développement normal du cerveau de l’enfant, entraînant des retards d’acquisition du langage et une désorganisation du comportement. L’écran ne doit donc pas constituer un mode de garde des petits enfants.
En parallèle de cette conférence, le docteur Anne-Lise Ducanda, spécialisée dans la protection maternelle infantile, ne dit pas autre chose dans une remarquable intervention (consultable uniquement sur l’internet...) : l’usage de l’écran s’inscrit comme l’une des causes principales de l’importance grandissante chez l’enfant, de troubles s’apparentant à l’autisme. Le discours de ce médecin, concret, efficace, éclairant et très intelligemment construit est visible par tout le monde ici : https://www.youtube.com/watch?v=9-eIdSE57Jw&sns=em. Il mérite donc d’être très largement vu, diffusé et relayé. Ces convergences médicales devraient bien amener chaque parent à réfléchir à l’emploi des outils numériques, au regard des risques qu’ils présentent, que ce soit pour eux-mêmes ou pour leurs enfants.
Les menaces sur les familles
Sur un autre plan, Monsieur l’abbé Ramé s’est à son tour consacré à la place du numérique au sein de la famille et sur les précautions indispensables qu’il convient d’observer.
Depuis la télévision, l’écran est devenu multifonctionnel (photo, information, jeux, réseaux sociaux), interactif, et donc plus attractif ; son utilisation s’est de plus en plus individualisée. Le numérique est apparu à la suite de deux maux qui caractérisent notre société : l’émancipation par rapport à l’autorité et l’individualisation. Ce moyen, qui n’est pas intrinsèquement pervers, envahit donc nos vies.
Des questions se posent alors : comment concilier cette nouvelle technologie, qui encourage l’individualisme, avec une vie familiale saine et chrétienne, dont les relations entre parents et enfants sont le ciment ? Comment préserver l’autorité parentale tout en éduquant l’enfant à la liberté ? Face aux conséquences que le numérique peut avoir sur la vie morale et spirituelle de l’enfant, ainsi que sur la vie familiale, la conduite à tenir des parents relève de la prudence la plus élémentaire. Encore une fois...
La vie morale et spirituelle
En premier lieu, le numérique peut avoir un effet sur la vie morale et spirituelle par son objet : c’est l’usage que l’on fait de l’outil numérique qui peut être bon ou mauvais. Un smartphone servant à entretenir de mauvaises relations ou à regarder de la pornographie devient un instrument dont l’objet est immoral. Ces dangers, bien que connus, causent alors la perte de la virginité morale d’un certain nombre d’enfants, à cause de la naïveté de leurs parents.
On peut aussi pointer d’autres vices, moins graves mais néanmoins importants, qui peuvent être favorisés : la paresse intellectuelle, l’oisiveté, l’égoïsme ou le manquement au devoir d’état.
Enfin ces outils peuvent nuire à la vie spirituelle en détournant de la prière, du silence intérieur ou de la lecture spirituelle.
La vie familiale
Une bonne relation entre les membres de la famille est impérative pour l’éducation. En effet, une relation filiale troublée aura des répercussions immédiates sur le développement spirituel, moral et psychologique de l’enfant. Le risque du numérique, et particulièrement des réseaux sociaux ou jeux vidéo, est d’isoler l’enfant (et parfois même les parents) dans une bulle, transformant ainsi la famille en un « collectif familial » : les activités communes, les services rendus, les échanges se raréfient et s’appauvrissent
L’outil numérique peut aussi soustraire l’enfant à l’autorité de ses parents, en le mettant sous l’influence de personnes étrangères, les faisant ainsi manquer au devoir de transmission et d’éducation qui est le leur. Bien que l’enfant possède une maîtrise du numérique parfois supérieure à celle de ses parents, il n’est pas encore apte à juger du bon ou du mauvais usage de cet outil.
La conduite à tenir
La conduite à adopter semble difficile. En effet, il est nécessaire de trouver le juste milieu entre un rigorisme entraînant une interdiction aveugle, sans distinction de l’âge ou du caractère de l’enfant, ni distinction de la nature de l’outil, et une permissivité résultant de la faiblesse ou de la naïveté.
Le premier principe d’éducation est la pratique du bon exemple. Il est donc nécessaire que les parents s’obligent à maintenir pour eux-mêmes une distance raisonnable vis-à-vis des écrans : par exemple éviter l’usage du smartphone à table, ou l’isolement sur l’internet pendant les temps de vie commune. Les pères de familles doivent empêcher le temps professionnel d’envahir la vie familiale et cela peut exiger parfois une certaine fermeté vis-à-vis de l’employeur.
La prudence, vertu de l’éducateur, consiste à appliquer les principes aux circonstances particulières, d’une part en faisant usage de son intelligence pour discerner, et d’autre part en usant de la volonté pour faire preuve d’autorité. Il s’agira donc d’appréhender le numérique dans son ensemble : connaître ses avantages et ses dangers le plus objectivement possible (cela nécessite de s’informer sur les risques) et appliquer ses décisions sans faiblesse. La marche à suivre peut varier selon les âges, les qualités ou défauts de l’enfant et selon le besoin (scolaire par exemple).
Pour résumer les quelques conseils qui suivent doivent être appliqués avec discernement :
Pour conclure
Comme l’ont démontré les différents conférenciers et comme a tenté de le proposer ce dossier, le numérique, parodiant Esope et sa langue, peut s’avérer à la fois « la meilleure et la pire des choses » selon l’usage que l’on en fait. Retenons que l’écran est fascinant mais capturant et qu’il expose à des esclavages contraires à la liberté des enfants de Dieu. Le numérique sollicite la surface de l’âme, c’est-à-dire les sens et les passions, là où le démon exerce le plus d’influence. Il faut donc savoir privilégier les activités qui nous conduisent à la fine pointe de l’âme : celles qui réclament l’exercice de l’intelligence et celui de la volonté.
Yves Le Sertes